Vengeance pour un mort
Il a dit à quelqu’un qu’il retournait en ville.
— Quand était-ce ?
— Il est arrivé le lendemain de l’arrestation de Monseigneur.
— Avant la nouvelle de son évasion ?
— Oui, madame. On raconte dans le village qu’il est allé voir son ancien maître, espérant retrouver sa situation.
— Dans ce cas, je dois engager un intendant jusqu’à notre retour. Seras-tu prête à partir demain à l’aube ?
— Oui, madame.
À Collioure, Astruch et son fils, Pere Peyro, Isaac et Yusuf s’avancèrent sur un promontoire rocheux d’où ils pouvaient voir venir qui que ce soit, par voie de terre comme par voie de mer.
— Il vaut mieux, dit Peyro, quoiqu’un peu tardivement, que nous ne racontions pas nos problèmes à tout le monde.
— Sommes-nous loin des oreilles indiscrètes ? demanda Isaac, qui tourna la tête pour écouter.
Tout ce qu’il perçut, ce fut le bruit des vagues sur la grève et le sifflement du vent.
— C’est l’endroit idéal, dit Peyro.
— Qu’y a-t-il à ajouter ? demanda Astruch. Je pensais que vous nous aviez déjà annoncé le pire.
— Hélas, non, fit Peyro d’un ton sinistre. D’autres difficultés légales sont apparues après le départ du bateau. À mon avis, la meilleure façon de les régler serait de rappeler l’embarcation et de faire procéder à une inspection de sa cargaison.
— Mais pourquoi ? s’étonna Duran. Elle a déjà été inspectée, non ?
— Pas assez soigneusement pour prouver que nous ne transportons pas des produits de contrebande. Mais le capitaine a des ordres, et à moins de l’intercepter…
— Ce qui semble bien difficile, admit Isaac.
— Une galée rapide pourrait le rattraper, dit Yusuf, qui savait de quoi il parlait pour avoir eu affaire à ce genre de vaisseau quelques mois auparavant.
— Cela coûterait très cher ! s’écria Astruch. Une galée, en plus de l’affrètement de ce navire…
À sa voix, on sentait qu’il faisait déjà des calculs.
— Maintenant que Marça est mort, reprit Peyro, la rumeur raconte que le capitaine changerait de destination pour vendre la marchandise à plus offrant. Des acheteurs prêts à donner beaucoup plus.
— Nous parlons ici d’une éventuelle cargaison d’armes, n’est-ce pas ? demanda Isaac.
— Oui, répondit Peyro, toujours très sombre. Des armes susceptibles d’être livrées à des ennemis du royaume. Cela impliquerait tous les actionnaires dans une entreprise de haute trahison.
— Impliquerait ? répéta Astruch. Mais cela ferait bien plus ! Vous rendez-vous compte que vous risquez la confiscation de tous vos biens ?
— Dans le pire des cas, oui, fit Peyro, je le sais. Ce serait un désastre pour nos malheureuses familles. Mais ce qui me chagrine plus que de perdre tout ce que je possède, je dois l’avouer, c’est que Sa Majesté le roi voudrait aussi notre tête.
— Je me retrouverais sans argent, se lamenta Astruch.
— Et le pauvre Guillem y perdrait la vie, lui fit remarquer Isaac.
— Où en est-on au juste ? demanda Astruch. Au-delà des spéculations et des rumeurs, veux-je dire ?
— Avant de mourir, Arnau Marça fut accusé de vouloir faire sortir du Roussillon des armes de guerre essentielles au royaume, et ce, sous le couvert d’un innocent vaisseau chargé d’étoffes et de denrées alimentaires.
— Une accusation plus que désagréable en temps de guerre, murmura Isaac.
— L’accusation n’évoque pas d’éventuels complices, et il se peut que les juges décident que le reste d’entre nous n’est pas impliqué. Je serais heureux d’entendre cela de leurs bouches, je dois le confesser.
— Y a-t-il eu procès ?
— Non. Et maintenant, il est mort. S’il avait vécu, qu’il fût déclaré coupable ou non, au moins les juges auraient-ils pris une décision à propos de toute cette affaire. Mais le roi est loin, Marça ne sera pas jugé et Perpignan n’est pas dans les préoccupations de nos dirigeants : il peut s’écouler des années avant que nous soyons lavés de tout soupçon.
— Mais quelle preuve avez-vous, vous ou quelqu’un d’autre, que ce vaisseau se livre effectivement à la contrebande ? demanda Isaac.
— Une preuve ? Mais comment en aurais-je une ? s’exclama Peyro. Le bateau est en route pour l’Égypte, ajouta-t-il en secouant la tête. Qu’il transporte des produits de contrebande ou les marchandises déclarées, je l’ignore. Ce que je
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