Vengeance pour un mort
pendant quelque temps mon apprenti chez ses parents, dit-il avec le manque de spontanéité d’un récit souvent raconté. Avec tous ces invités qui devaient arriver, il prenait plus de place que nécessaire. C’est un bon garçon cependant. Il s’appelle Abram et son père, maître Baron Dayot Cohen, est le plus ancien, le plus habile et le plus prospère médecin du Call. Il a même été proposé au poste de conseiller. Je vous le présenterai au mariage.
— Maître Baron vous donne la preuve de son estime en vous confiant son fils. Mais j’entends Raquel descendre l’escalier en compagnie de Yusuf. Allons examiner ce patient.
La chambre réservée au patient était accessible par un petit escalier situé derrière le corps de bâtiment principal. La pièce était de belles proportions pour une chambre à coucher, assez vaste en effet pour accueillir deux lits, une table, deux chaises et une armoire. Deux murs étaient percés d’une fenêtre ; quand elles étaient ouvertes, la pièce était probablement claire et aérée mais, pour l’heure, elles étaient fermées pour protéger du soleil et du vent. La servante était assise auprès de l’homme ; dès que son maître entra, elle esquissa une révérence et s’empressa de rejoindre sa maîtresse.
Raquel murmura à l’oreille de son père dès qu’ils pénétrèrent dans la pièce.
— Le patient porte sa chemise et seul un drap léger le recouvre. Il est couché sur le dos. Il est très pâle et a l’air hâve comme s’il n’avait ni mangé ni bu depuis un certain temps, mais son regard est clair. Il se tient très raide.
Elle avait aussi remarqué, accrochée à l’extérieur de l’armoire, une tunique rafistolée, comme en aurait porté un marchand juif aux moyens fort modestes. Sur l’une des étagères était posé un paquet renfermant sans nul doute les affaires de l’individu.
— Mon patient est un marchand de Carcassonne, dit Jacob. Il s’est senti souffrant alors qu’il approchait de Perpignan et un étranger au bon cœur l’a amené jusqu’au Call.
— Un chrétien l’a trouvé et l’a amené ici, dites-vous ?
— Oui.
— À quelle distance sommes-nous de Carcassonne ? demanda Isaac en se tournant vers le lit pour s’adresser au patient.
— Quelque vingt-cinq lieues à travers les montagnes, dit l’homme d’une voix rauque.
Il s’arrêta pour reprendre son souffle et continua, d’une voix plus faible cependant.
— Pas plus de trois jours à rythme modéré.
— A-t-il de l’eau ? demanda Isaac.
— Ici, papa.
Elle approcha le gobelet de ses lèvres. Il but et sa tête retomba sur le lit.
— Vous êtes tombé malade ? lui demanda Isaac.
— Je souffre d’arthrite, répondit le patient.
— À votre âge ? Car il me semble que vous êtes assez jeune.
— J’ai vingt-cinq ans, dit-il dans un souffle. Je voulais me rendre aux thermes, dont j’avais entendu dire le plus grand bien.
— Avant que vous ne continuiez, j’aimerais vous examiner. Vous aurez remarqué que je ne puis voir, mais je peux sentir. Étant donné que ce qui se passe à l’intérieur du corps n’est visible de personne, je ne suis pas aussi désavantagé que vous pourriez le penser. Ma fille et mon apprenti sont mes yeux quand c’est nécessaire. Raquel, défais sa chemise.
— Oui, papa.
Avec grand soin, elle dénoua les cordons qui fermaient sa chemise et remarqua la belle qualité de l’étoffe.
— Sa poitrine est couverte de bleus, papa. Ils sont très marqués.
— Peux-tu la lui enlever ?
— Je crains de lui faire mal.
— Je n’ai pas osé la lui ôter, dit Jacob. Pour la même raison.
— Dans ce cas, il faut faire avec ou la découper.
— Ce n’est qu’une chemise, grogna l’homme.
— Exactement, messire, ce n’est qu’une chemise, dit Isaac d’un ton enjoué.
Guidé par Raquel, il plaça les mains sur la tête de l’homme. Après avoir soigneusement examiné le crâne, il fit descendre ses doigts avec délicatesse sur le torse et la cage thoracique. Son patient se raidit.
— C’est douloureux, dit Isaac.
— Oui, fit l’homme.
— Il y a ici une énorme ecchymose, papa. Et c’est enflé.
— Je la sens, oui. Cette côte est cassée. J’admets volontiers que l’arthrite est un mal redoutable, mais elle n’est pas souvent la cause d’une fracture. Que s’est-il passé, messire ?
— Mon état a empiré, dit-il dans un halètement, à cause
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