Vengeance pour un mort
je vous l’ai déjà dit, intervint Arnau.
— Dame Johana aura vu les choses sous un autre angle. Il nous sera utile de connaître son point de vue.
— Comme vous voudrez, maître Isaac.
Johana entreprit d’expliquer précisément et avec un calme apparent les événements de cette nuit-là. Sa voix trembla lorsqu’elle évoqua le moment de l’agression et sa fuite éperdue pour trouver de l’aide. Elle s’arrêta alors, incapable de continuer. Puis elle reprit son souffle et raconta à nouveau, redevenue maîtresse d’elle-même. Quand elle arriva à sa visite à la maison d’Esclarmonda, dans le quartier du Partit, Isaac l’interrompit.
— Je crois savoir ce qui s’est passé à partir de cet instant. Mais je vous en prie, dame Johana, dites-moi : quand vous parlez de soudoyer boutiquiers et geôliers, l’avez-vous fait vous-même ? En avez-vous chargé votre serviteur ?
— Je ne l’ai certainement pas fait moi-même. Cela ne me paraissait pas sage. J’ai envoyé…
Soudain Johana se leva et se mit à arpenter la pièce.
— Revenez, ma mie, lui dit Arnau. N’allez pas où je ne puis vous voir. Êtes-vous irritée de nous entendre sans cesse reparler des mêmes choses ? Mais sinon comment découvrir la vérité ?
— Je ne suis pas irritée, répondit Johana, je ne me sentais pas bien assise, c’est tout.
Elle se pencha en avant, les mains posées sur le rebord de la fenêtre, le regard tourné vers la cour.
— Non, ce n’est rien, je suis un peu…
Elle hoqueta et s’immobilisa, les doigts crispés sur la pierre.
Raquel, qui se tenait jusque-là auprès de son père, s’approcha d’elle.
— Madame, dit-elle doucement, vous sentez-vous mal ? Ou les douleurs vous viennent-elles déjà ? Asseyez-vous, je vous en prie, reposez-vous.
— Je suis mieux debout, répondit-elle avec effort. Voilà. Ça va mieux. Arnau, qu’ai-je fait ?
— Qu’avez-vous fait ?
— J’ai déclenché cette crise en courant jusqu’ici. J’ai été stupide, mais je ne pouvais plus attendre de vous voir…
— Ne vous inquiétez pas. Ce ne sera pas le premier enfant à naître dans le Call, n’est-ce pas ? Venez prendre place à mes côtés et nous nous consolerons mutuellement, tant que vous en serez capable.
Dame Johana s’assit à nouveau à côté de son mari. Raquel se pencha vers elle.
— Est-ce votre premier enfant, madame ?
— Non, notre premier-né n’a pas vécu plus de quelques heures.
— Ne vous inquiétez pas, dit Raquel qui s’efforçait de se rappeler quand les douleurs avaient commencé.
Elle en conclut qu’elle souffrait certainement depuis son arrivée. Si l’on ne voulait pas que le bébé voie le jour sur le plancher de la chambre d’Arnau, il allait falloir prendre de rapides décisions.
— Nous pouvons vous renvoyer au palais sur un brancard, madame, dit-elle, mais vous pouvez rester ici. Ça ne pose aucun problème. Ma propre chambre est spacieuse et agréable. Je peux dormir n’importe où, et Bonafilla ne va plus en avoir besoin.
— Pourquoi ? demanda dame Johana.
— Parce qu’elle sera mariée cet après-midi. Si vous restez, nous aurons deux occasions de nous réjouir la même journée. Je vais envoyer chercher la sage-femme et préparer la chambre. Il faut aussi prévenir votre servante, qui vous attend.
— Je désire rester le plus près possible d’Arnau, déclara-t-elle d’une voix forte. Que quelqu’un dise à la servante sur la place de demander à Felicitat d’apporter tout ce qui est nécessaire. Vous trouverez Felicitat très utile, maîtresse Raquel. Elle pourra veiller sur Arnau ou aider la sage-femme, quoi qu’on lui demande. J’ai été folle de ne pas l’amener avec moi, mais je craignais que les gens comprennent que nous rendions visite à Arnau s’ils nous voyaient ensemble.
Ainsi, quand la fiancée revint à la maison pour les ultimes préparatifs, elle trouva sa chambre occupée par une femme en plein travail, une sage-femme alerte, la jeune souillon et Raquel. Ruth, qui accompagnait Bonafilla, ouvrit la porte, regarda alentour et ne manifesta pas la moindre surprise.
— Puis-je vous aider d’une quelconque façon ?
— Nous nous en tirons très bien, maîtresse, répondit la sage-femme. Et s’il y avait quelqu’un d’autre pour m’aider, je n’aurais plus la place de bouger.
— Où sont mes habits ? demanda Bonafilla.
D’un commun accord, toutes les occupantes de la
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