Vengeance pour un mort
C’est un homme tout à fait ordinaire, ajouta-t-il dans l’espoir que la conversation prendrait un autre tour.
— À quoi ressemble-t-il ?
— Il a des cheveux et une barbe noires. Et ses yeux aussi sont noirs, me semble-t-il, mais c’est difficile à dire, les volets de sa chambre sont tout le temps fermés.
— Comme quelqu’un du Sud ?
— Peut-être bien. Mais sa peau n’est pas plus sombre que la tienne, et sa façon de parler ne nous apprend rien. Il ne parle pas beaucoup, il est trop malade pour ça. Dis, on nous ressert bientôt à manger ?
— Pas avant la fin de la danse, mais ça vaut le coup d’attendre. Il y a trois moutons rôtis, des volailles en sauce et aussi un chevreau. J’étais à la cuisine quand elles ont terminé de le préparer. Mais ne va pas dire que tu es au courant.
— Bien sûr que non. Allons voir si tout est prêt.
Abram Dayot se leva et déplia son grand corps dégingandé. Il trébucha et faillit renverser une cruche de vin que son voisin rattrapa de justesse.
— Cet été, je n’ai pas arrêté de grandir, dit-il comme pour s’excuser. Je ne me rends pas compte où sont mes pieds.
— J’aimerais bien être aussi grand que toi, fit Yusuf avant que les deux garçons ne prennent le chemin des cuisines.
Les cuisinières avaient fini de découper les moutons rôtis ; sur les tables, les plats de viandes braisées, rôties ou en ragoût se vidaient. Serviteurs et servantes passaient et repassaient, remplissant des pots de vin qu’ils déposaient sur les tables à côté de cruches d’eau et de boissons fraîches parfumées à la menthe, destinées à étancher la soif née du festin, des bavardages et des danses.
Un chanteur monta sur une petite estrade à côté des musiciens : les instruments entamèrent un morceau et il attaqua une chanson sur le thème des joies de l’hyménée, mêlant habilement aux couplets les noms des jeunes époux. Les paroles devinrent de plus en plus hardies et Bonafilla rougit de rire et d’embarras, ainsi que toute jeune épousée se doit de le faire. L’assistance l’applaudit et David posa la main sur la sienne.
Quand les chansons s’achevèrent enfin, on débarrassa les tables avant d’apporter des coupes de fruits – frais, secs ou conservés dans le miel et l’alcool –, ainsi que des plats de sucreries et de pâtisseries. Chacun d’eux était recouvert d’une montagne de beaux raisins secs, symboles de chance et de bonheur. Il y avait une telle abondance de mets que chacun avait à portée de la main ce qui lui plaisait le plus.
Alors que les invités s’abandonnaient à la gourmandise, l’intendant de la famille du médecin se dirigea vers maître Jacob et lui murmura quelques mots à l’oreille.
— Ah, Mordecai, dit le médecin d’un ton joyeux, un tonnelet a-t-il été prévu pour les serviteurs ? Et pour les musiciens ?
— Oui, maître Jacob, mais quelqu’un vous demande à la porte. Il prétend que c’est important.
— Qu’y a-t-il de plus important que les noces de mon frère ? répliqua Jacob, qui avait bu plus que de coutume.
— Jacob, intervint Isaac en se penchant vers lui, je pense qu’un patient a besoin de vos services. Désirez-vous que je m’en charge ? Je n’ai pas autant… J’ai moins d’obligations que vous, ce soir, se reprit-il. Où est Yusuf ? Il peut m’assister.
— Non, voyons d’abord de qui il s’agit. Venez avec moi, mon vieil ami. Cela nous fera du bien de nous dégourdir les jambes, même si nous n’allons qu’au portail.
Ils suivirent le serviteur jusqu’à la porte du jardin. Ce fut une lente procession, ponctuée par les conversations et les rires des invités.
— Voici l’homme, messire, dit l’intendant. Si je peux vous laisser seuls avec lui…
— Maître Jacob, fit un homme debout dans l’ombre de la rue. Mon maître est très malade et il aimerait que vous lui rendiez visite sur-le-champ. Ou dès que vous le pourrez, car il sait qu’il vous faudra quitter une fête de mariage. Il est réellement désolé, mais il croit qu’il va mourir si personne ne l’assiste.
— Qui est-ce ? demanda Jacob.
— Maître Pere Peyro.
— Et toi-même ? Tu ne ressembles pas à son serviteur.
— Je ne suis qu’un messager, maître Jacob. Le serviteur de maître Pere Peyro est resté auprès de lui.
— Peux-tu me dire de quoi il souffre, afin que je sache quoi apporter ?
— On m’a parlé d’un poids dans
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