Vengeance pour un mort
l’avait prise de force afin de me tendre un piège.
Elle posa la tête sur la couverture, près de sa poitrine, et dit quelque chose d’incompréhensible. Il lui caressa les cheveux de sa main valide et murmura de douces paroles de réconfort. Enfin elle releva la tête et essuya ses larmes à l’aide d’un carré de soie dissimulé dans sa manche.
— Je vais bien, dit-elle. Maintenant que je vous ai vu, je vais bien. Je n’ai pas osé envoyer un message ou m’enquérir à votre sujet, et j’ai été folle d’appréhension tout au long de ces deux dernières semaines.
— N’y a-t-il aucun messager fiable au palais ?
— Il y en a, Arnau. Mais je commence à croire que quelqu’un surveille chacun de mes gestes, guette tous ceux à qui je m’adresse et épie chacune de mes paroles.
Elle s’arrêta un instant puis elle se ressaisit.
— Si j’ai osé venir aujourd’hui, c’est grâce au père Miró. Il m’a assuré avoir écrit pour vous à des personnages puissants et influents, mais il a refusé de me révéler qui ils étaient. Il m’a également conseillé de venir vous voir.
— Vous avez traversé seule la ville ?
— J’ai amené une servante du palais. Elle m’attend sur la place, devant l’église des frères prêcheurs. Moins elle en saura, mieux ce sera.
— Pour quoi vous croit-elle ici ?
— Pour emprunter de l’argent, naturellement. Quelle autre raison aurais-je de pénétrer dans le Call ? ajouta-t-elle d’un air innocent. Je lui ai confié que je devais rencontrer un prêteur et lui ai demandé de m’en conseiller un qui fût discret. J’ai acheté son silence et, pour faire bonne mesure, lui ai fait jurer solennellement de garder le secret. Elle se réjouit de détenir une telle arme contre moi.
— Combien de temps lui faudra-t-il pour vendre cette information ? demanda Arnau, sourire aux lèvres.
— Le temps de reprendre son souffle et d’ôter sa cape. Elle est persuadée que les choses iront mal pour moi si le palais apprend que je suis si pauvre que je dois fréquenter les usuriers.
— Qui vous espionne ?
— Je n’en suis pas certaine. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de Puigbalador.
— Bonshom ? Je n’y crois pas. Pourquoi ferait-il ça ?
— Chacun vous croit mort ; jusqu’au retour de la servante, on me croit aussi à la tête d’une grosse fortune. Bonshom m’a déjà offert son talent et son influence pour me permettre de récupérer vos biens auprès de la Couronne.
— Vraiment ? Il est donc certain que le jugement me sera défavorable. Parce que, que je sache, ils sont toujours miens. Mais ma très chère, dit-il, le front plissé, que cela lui rapporterait-il ? Même si j’étais mort, il y a son épouse, la malheureuse. À moins de la jeter du haut de la tour, il ne peut s’approprier notre fortune par le mariage.
— Je frissonne à l’idée de ce qu’il peut avoir en tête, Arnau. Tantôt il est la galanterie même, et tantôt le mal incarné.
— Vous êtes restée trop longtemps seule, ma mie. Vous ne devriez pas vous inquiéter de ça.
— Comment faire autrement ? Arnau, l’autre personne qui semble me guetter…
— Eh bien ?
— C’en est trop pour moi, Arnau. Je crois que c’est Margarida. Quelqu’un a surpris ma conversation avec Jacinta quand elle est venue samedi porteuse de votre message.
— Qui ? Margarida ?
— En tout cas, c’est une proche de la princesse qui se dissimulait parmi les arbres du verger et écoutait. La princesse sait tout ce que nous nous sommes dit. Heureusement, Jacinta vous a seulement appelé mon fidèle serviteur.
— Ce que je suis, ma mie. Mais c’est vrai, je lui ai demandé de me nommer ainsi. Cela m’a paru plus sûr.
— Le ciel en soit loué ! Mais Arnau, la seule personne présente dans le verger lorsque Jacinta et moi nous y trouvions, c’était Margarida. Elle m’a d’ailleurs conseillé de me montrer amicale avec Puigbalador, indépendamment de ce que je pouvais penser de lui. Arnau, est-il votre ennemi ? Vous êtes-vous querellés dans le passé à propos d’une femme ? Ne me cachez rien, je n’ai jamais imaginé que vous fussiez moine avant de me rencontrer. Il faut que je sache.
— Bonshom ? Il n’a nulle raison, je vous le jure, d’être mon ennemi. C’est un coquin, un joueur invétéré et un grand séducteur, mais au fond c’est un brave homme, Johana. Je ne lui ai jamais volé de maîtresse ni
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