Victoria
rénover Buckingham Palace. Construit par différents architectes, le palais n’a jamais donné satisfaction. Dès son arrivée, le prince Albert a entrepris d’en assainir la gestion, après avoir demandé à Stockmar de rédiger un mémorandum répertoriant ses dysfonctionnements. En réalité, rien n’y fonctionne correctement. Les vitres sont toujours sales, pour la bonne raison qu’il appartient aux services du Lord Chamberlain de les nettoyer à l’intérieur, et à ceux des Bois et Forêts d’en faire l’extérieur. Il est presque impossible d’y obtenir du feu, car il revient à certaines personnes de l’allumer… et à d’autres d’apporter les bûches. De toute façon, les cheminées fument.
Il y règne en permanence des odeurs nauséabondes, parce que des égouts défectueux laissent stagner les eaux usées où se forment des miasmes dangereux. Des reliefs de nourriture pourrissent un peu partout. On oublie de faire le ménage dès que la reine s’absente. Au fil des années, de surprenants abus se sont installés : il est difficile d’évaluer le nombre de ceux qui, par passe-droits bien établis, se restaurent aux frais de Victoria, ou circulent dans ses voitures. De nombreux repas ne sont jamais servis et Dieu sait dans quelles poches en atterrit le prix. Depuis le temps de la reine Anne, les serviteurs ont le privilège d’arrondir leurs gages en revendant les restes. L’absentéisme et les sinécures sont monnaie courante.
Lors des réceptions, les invités résidant au palais peuvent errer des heures dans les escaliers et les corridors avant de rencontrer quelqu’un qui puisse leur indiquer leur chambre. Il est difficile de trouver assez d’appartements qui soient dignes d’accueillir des hôtes de marque ; les enfants sont contraints de loger dans les combles. En plus du manque de pièces réellement habitables, l’aspect extérieur de la bâtisse exige de plus en plus évidemment quelque ravalement.
Victoria demande à son Premier ministre de veiller à faire en sorte que la question de Buckingham Palace soit réglée une fois pour toutes : « Il revient à Sir Robert de considérer s’il ne vaudrait pas mieux remédier à toutes ces déficiences en même temps, et saisir cette occasion de restaurer l’extérieur du palais, de sorte qu’il ne soit plus une disgrâce pour le pays, comme il l’est certainement à l’heure actuelle. »
Certes, il se peut que le gouvernement ait des affaires plus urgentes à régler.
29
En février 1845, peu après l’ouverture de la session parlementaire, la question de la résidence royale est débattue par les membres de la Chambre des communes. Le chancelier de l’Échiquier estime à 150 000 livres le budget nécessaire. Un député radical suggère que, pour ce prix-là, on rase le palais de Kensington pour en construire un neuf à la place. Huit palais royaux, entretenus aux frais d’une nation dont les classes laborieuses sont dans une misère abjecte, semblent plus qu’amplement suffisants.
« Les honorables membres du gouvernement, déclare Mr Williams, député radical de Coventry, n’ignorent vraisemblablement pas que deux millions et demi de compatriotes irlandais sont dans un état de famine tel qu’on n’en a pas connu de semblable dans aucune autre partie du monde. »
Une commission royale, nommée deux ans auparavant, sous la présidence du comte de Devon, a enquêté sur les causes de la pauvreté en Irlande et les troubles endémiques qui en résultent. De l’avis général, c’est la répartition des terres qui est le nœud du problème. En attendant, le rapport de Lord Devon montre que les privations endurées par les paysans irlandais sont indescriptibles.
Ils sont pour la plupart dans un dénuement absolu, n’ayant souvent pas même un toit au-dessus de leur tête. Dans de nombreux districts, ils se nourrissent exclusivement de pommes de terre. Les récoltes sont de plus en plus mauvaises. Le mildiou, un champignon parasite, fait pourrir les tubercules dans le sol.
Ce fléau s’étend dans certaines régions du nord de l’Angleterre, comme dans d’autres pays d’Europe. En Irlande, où la pomme de terre est la culture vivrière de base, le peuple est réduit à une famine absolue.
Personne ne peut ignorer l’ampleur de cette catastrophe, et le gouvernement moins que quiconque. S’il existe une solution, Sir Robert Peel en est convaincu, elle passe par la réduction, voire
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