Victoria
mitoyens, celui d’Albert étant imperceptiblement plus haut. La table et les chaises de la salle à manger sont surbaissées de quelques centimètres pour compenser la petite taille de Victoria.
Le style général voulant évoquer celui de la Renaissance italienne, ils commandent des statues d’eux-mêmes. Le sculpteur allemand Emil Wolff représente Albert en toge classique, l’Anglais John Gibson sculpte Victoria en reine romaine, portant couronne et sandales, une cape jetée sur ses épaules nues.
Ils invitent des artistes réputés à leur donner des leçons. Victoria cultive son don pour les arts plastiques sous la houlette d’Edward Lear, auteur renommé de poèmes humoristiques et illustrateur distingué, dont elle admire les lithographies. Lear s’extasie sur leur collection de tableaux déjà nombreux.
« Comment avez-vous obtenu toutes ces belles choses ?
— Je les ai héritées, Mr Lear. »
Ils se préoccupent de la situation des beaux-arts en Angleterre, que certains jugent insatisfaisante. Le débat est relancé par le suicide récent de Benjamin Haydon, acculé au désespoir par le peu de succès de ses œuvres. Certains tendent à penser que le goût anglais, par trop matérialiste et bourgeois, est peu favorable aux avancées esthétiques.
Albert lui-même s’intéresse davantage aux techniques qu’aux arts, en vertu d’un certain esprit protestant qui tend toujours à préférer l’utile à l’agréable. Le progrès de la nation vers davantage de bien-être semble à l’évidence être affaire de technologie, et cette question-là est étroitement liée à l’éducation, qui doit faire l’objet d’investissements judicieux et rentables. C’est dans cet esprit que le gouvernement libéral de Lord John Russell souhaite mettre en œuvre un système d’enseignement national.
Victoria et Albert sont ainsi amenés à étudier les propositions d’un certain Walter Hook, un clergyman de Leeds qui envisage une sorte d’extension des « universités de la reine » mises en place en Irlande sur un projet de Peel. Cela consisterait à fonder des écoles et des universités financées par l’État. L’enseignement y serait laïque, mais un jour par semaine serait réservé à l’instruction religieuse, dispensée en fonction des confessions respectives des élèves.
Ce courant laïque rencontre évidemment des résistances de la part de ceux qui redoutent l’accentuation d’une dérive générale du pays vers l’athéisme. Parmi ses promoteurs se trouve, par exemple, George Holyoake, fortement influencé, comme John Stuart Mill, par le positivisme d’Auguste Comte. Néanmoins, du point de vue du prince Albert, en particulier, une telle évolution serait éminemment souhaitable, dans la mesure où elle serait de nature à développer rationnellement les forces vives de la nation.
Le prince suit avec passion les développements des sciences et techniques. En cette année 1846, Michael Faraday, physicien britannique et membre de l’Académie des sciences française, a été récompensé pour ses recherches en électromagnétisme et en électrochimie. Au mois de décembre, un premier câble sous-marin est posé à Porstmouth, l’eau elle-même servant de conducteur dans le circuit électrique d’émission. Des projets se dessinent pour l’établissement d’une liaison télégraphique avec le continent.
À Cambridge, le professeur Whewell a pressenti le prince Albert pour être le chancelier de l’université. Une querelle s’est ensuivie entre les collèges de St John et de Trinity. Le prince, jugeant la situation peu digne, s’est retiré de la compétition. Finalement élu, il accepte l’honneur qui lui est fait : c’est tout à la fois un couronnement de son intégration dans la vie anglaise et l’opportunité de mettre en œuvre ses idées.
En attendant que le pays se dote d’un système d’enseignement plus performant, le couple royal prend en main l’éducation de ses propres enfants. En janvier 1847, Victoria et Albert rédigent ensemble un mémorandum établissant les principes et la structure de leur formation.
Helena n’est encore qu’un bébé. Alice et Alfred, qui ont respectivement 3 et 2 ans, relèvent de la classe I, qui est celle du jardin d’enfants, supervisé par Mrs Thurston. Bertie a 6 ans, Vicky 5. Bien qu’ils dorment toujours à la nursery, ils ont l’âge de passer dans la classe II, sous la direction d’une nouvelle
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