Victoria
refusé d’être roi de Grèce.
Dans les jardins de St James’s Park, en face du palais, Victoria et la reine Adélaïde regardent la procession qui descend le Mall, de Buckingham Palace vers Trafalgar Square. Le roi Guillaume IV se rend à Westminster pour la cérémonie d’ouverture du Parlement. La foule les aperçoit.
« La reine ! La reine ! crient les badauds, Dieu sauve la reine ! »
Adélaïde prend sa nièce dans ses bras et l’assied sur le muret.
« Dieu sauve les deux reines ! »
Les souverains considèrent Victoria comme si elle était leur propre enfant, avec beaucoup de gentillesse. La reine Adélaïde, princesse allemande pieuse et bonne, a perdu ses deux filles en bas âge. Ses autres grossesses se sont terminées par des fausses couches et la naissance de jumeaux mort-nés. Particulièrement depuis la mort d’Elizabeth, la « petite reine Bess », elle a pris sa nièce en affection.
Le roi Guillaume est un homme de 65 ans, bon enfant mais facilement irritable et bourru, comme le vieux marin qu’il est. Ses longues années de service dans la Royal Navy, son amitié avec Nelson lui valent le surnom populaire de « roi marin ». Les efforts maladroits qu’il fait pour se faire aimer de son peuple se retournent contre lui. Passe encore qu’il aille se promener dans Londres en redingote comme un simple bourgeois, et se laisse embrasser par les filles des rues. On s’étonne qu’il invite des passants à monter à bord de son carrosse pour les rapprocher de chez eux. On se désole qu’il crache par la portière. On trouve parfaitement ridicule qu’il s’endorme à l’Opéra. Comme il n’a pas l’élocution facile, on le tient pour un nigaud, bien qu’il soit loin d’être stupide. On l’appelle « Billy IV ».
En novembre, le Parlement désigne la duchesse de Kent comme régente sans conseil, dans l’éventualité d’une accession de Victoria au trône avant sa majorité. Un subside de 10 000 livres supplémentaires lui est alloué pour pourvoir à l’éducation de la princesse. Pour Mme de Kent, le moment est venu de soustraire sa fille à l’influence envahissante du couple royal. Ils n’aspirent qu’à l’évincer pour éduquer Victoria à sa place, c’est évident. Peu après la mort de sa fille Elizabeth, Adélaïde lui avait écrit : « Mes enfants sont morts, mais votre fille est bien vivante et c’est aussi la mienne » ! En tout état de cause, Mme de Kent estime qu’il est de son devoir d’éloigner Victoria de la cour. La raison est vite trouvée : le roi vit entouré de sa dizaine d’enfants illégitimes et de leurs familles, dont la fréquentation n’est certainement pas digne de la future reine d’Angleterre.
Au mois de février 1831, Victoria fait sa première apparition lors d’une réception royale. Elle est assise à la gauche du trône, en robe de dentelle blanche, portant un simple collier de perles et une broche en diamant dans les cheveux. Le roi se plaint qu’elle ne lui adresse que des « regards de pierre ». Il fulmine de savoir que c’est sur l’ordre de la duchesse de Kent.
Quoi qu’il en soit, le pays a bien d’autres sujets d’inquiétude. Des émeutes accompagnent les débats parlementaires sur la loi de réforme électorale qui, si elle est votée, doit étendre le suffrage et réduire certaines pratiques de corruption. À Londres, le député John Wilson Croker, critique fielleux de la Quarterly Review , qui est peut-être l’inventeur du terme « conservateur » dans la vie politique anglaise, appelle Victoria « Miss Guelph ». En la désignant par le simple nom de famille des Guelph de Hanovre, en lui retirant son titre de noblesse et sa particule, il veut par l’ironie exacerber la crainte de voir un jour la Grande-Bretagne devenir une république.
Sur le continent, la révolution belge a conduit à la création d’un nouvel État, indépendant des Pays-Bas. Le Congrès national de Belgique a proposé le trône de cette monarchie constitutionnelle au duc de Nemours, le second fils de Louis-Philippe. Devant l’opposition résolue du Royaume-Uni, le « roi des barricades » a décliné l’offre au nom de son fils. Le prince Léopold de Saxe-Cobourg, qui a jadis combattu les armées de Napoléon à la tête d’un régiment de cavalerie russe, est élu roi des Belges et prête serment à Bruxelles.
Si à Londres certains savent peut-être gré au roi Guillaume IV
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