Victoria
ambassadeur de France à Londres, une liste des récentes tentatives d’assassinat contre Napoléon III planifiées en Angleterre. Il affirme qu’il est impensable que la Grande-Bretagne héberge sur son sol des individus dont l’intention manifeste est d’éliminer l’empereur des Français.
À Paris comme à Londres, le ton monte dangereusement. Les journaux anglais reprennent, par exemple, un article paru dans Le Moniteur . Des « colonels » y ont écrit : « Si Votre Majesté a besoin de soldats pour atteindre ces hommes jusque dans leur repaire, nous la prions très humblement de désigner le 82 e régiment pour faire partie de l’avant-garde de cette armée. » Les Anglais se disent choqués qu’un homme comme Napoléon III, qui a lui-même bénéficié de la protection que lui assuraient hier les libertés britanniques séculaires, prétende aujourd’hui faire changer les lois anglaises pour les abolir.
« Les nouvelles de France sont très mauvaises, dit Lord Granville, le chef de file des libéraux à la Chambre des lords. Une guerre avec la France ne me surprendrait pas. »
Palmerston remarque qu’il serait difficile de livrer les réfugiés politiques italiens à la France, et de refuser d’en faire autant pour l’Autriche. Il prépare néanmoins un projet de loi visant à punir plus sévèrement l’inculpation de conspiration. Disraeli et les conservateurs n’attendent que cette occasion pour déposer une motion de censure et faire tomber le gouvernement.
C’est dans ce climat tendu que Victoria et Albert reçoivent à Buckingham Palace le prince et la princesse de Prusse, pour le mariage de Vicky et de Fritz. Le roi des Belges et ses fils sont aussi de la noce. Le palais bourdonne des conversations d’une centaine d’invités de marque et de leurs suites. Dîners, spectacles, bals et concerts se succèdent. Enfin, c’est la veille du grand jour.
« Le dernier jour de la vie de jeune fille de cette pauvre chère Vicky, écrit la reine dans son journal. Le deuxième jour le plus important de ma vie. Je me sens comme si c’était moi qui allais me marier de nouveau, seulement beaucoup plus nerveuse, car je n’ai pas ce sentiment béni que j’avais alors, qui vous soulève et vous porte, de me donner pour la vie à celui que j’aime et que je vénère, maintenant et pour toujours. »
Vicky rejoint Victoria et elles s’habillent ensemble. La robe de la mariée est en moire antique de soie blanche, ornée de trois volants de dentelle de Honiton, avec des anneaux et des rameaux de fleurs d’oranger et de myrte, le voile et la couronne assortie. La robe de la reine est aussi en moire antique, dans les teintes lilas et argent des mères de mariées, décorée de dentelle de Honiton comme sa traîne de velours. Elle porte la couronne de diamants. La mère et la fille sont coiffées à l’identique.
Les deux Victoria posent face à face, leurs mains gantées de blanc croisées sur leurs crinolines, épaules et avant-bras nus. Albert les domine d’une tête en arrière-plan, dans son uniforme de maréchal paré de toutes ses décorations, fixant l’objectif d’un air grave. Vicky, légèrement de trois quarts, baisse chastement les yeux. Mr Williams, le photographe, leur fait reprendre la pose plusieurs fois, mais en vain. Sur le daguerréotype, le profil de la reine demeure flou, tant elle ne peut se retenir de trembler de tout son corps.
La Marche nuptiale de Mendelssohn résonne dans la chapelle royale de St James. La princesse est conduite en procession par le prince consort et le roi des Belges, précédée de ses sœurs en pleurs, vers l’autel où le marié les attend, auprès de l’archevêque de Cantorbéry. Les larmes ne coulent par sur les joues de Vicky avant le moment de dire au-revoir à sa mère. Déjà, Londres pavoisé carillonne, acclamant Vicky et Fritz tout au long de la route de Windsor, où les écoliers d’Eton détellent les chevaux et tirent eux-mêmes le carrosse nuptial jusqu’au château dans un joyeux chahut.
La neige tombe sur Londres, ce 2 février 1858, estompant les couleurs, amortissant les cris de la foule venue nombreuse, malgré le froid mordant, saluer les mariés qui traversent la ville en voiture ouverte. Les flocons se mêlent aux pétales de fleurs dont les jeunes filles parsèment le pavé blanchi de Gravesend, où ils vont embarquer pour l’Allemagne.
« À la princesse Frédéric-Guillaume, écrit Victoria à
Weitere Kostenlose Bücher