Victoria
Ceylan. À Singapour, il a intercepté les régiments qui faisaient route vers la Chine pour y soutenir Lord Elgin. Rejointe par Havelock et Outram avec leurs régiments rentrant de Perse, cette « armée de la vengeance » a marché sur l’Awadh, en Uttar Pradesh, où la ville de Lucknow a été reprise le 25 septembre. Lors de cette bataille, les Highlanders se sont distingués en combattant, dit-on, plus comme des sauvages que comme des hommes civilisés. Puis on a vu ces farouches guerriers, oubliant toute discipline, rompre les rangs sitôt entrés dans la ville pour serrer la main des dames et prendre dans leurs bras les petits enfants. C’est alors que l’ennemi a refermé son piège sur Outram, l’assiégeant de nouveau dans Lucknow.
Pendant ce temps, Sir Colin Campbell, débarqué à Calcutta le 17 août, soignait interminablement les préparatifs de sa campagne. Soucieux de ne pas renouveler les erreurs de la Crimée, il voulait vaincre à coup sûr, mais surtout en épargnant le plus possible la vie de ses hommes. Il ne s’est ébranlé que le 27 octobre, pour arriver en vue de Kampur le 9 novembre, n’attaquant pas avant le 14, avec deux régiments, l’un de sikhs et l’autre d’Écossais. Les Highlanders du 93 e se sont eux aussi distingués par la férocité de leur engagement, massacrant les cipayes à la baïonnette pendant des heures sans faire de quartier. Trois jours plus tard, ils reprenaient enfin Lucknow. Les hommes d’Outram, assiégés depuis de nombreuses semaines dans la ville, y défendaient toujours le drapeau. Ils entendirent leurs compatriotes venir à la rescousse au son inexorable des cornemuses jouant Voici les Campbell .
La révolte des cipayes est terminée. Elle est réprimée de barbare manière. Pendant de longs mois, tandis que des escarmouches sporadiques se poursuivent en 1858, les Britanniques se livrent à une débauche de vengeance, faisant souffler sur l’Inde le « vent du diable ». Les rebelles sont attachés à la bouche des canons et déchiquetés. D’autres sont pendus par centaines au son des fanfares militaires. Des villages entiers, dont les habitants sont soupçonnés de sympathie avec les mutins, sont rasés, le bétail abattu, les récoltes brûlées.
En Angleterre, ni la presse ni l’opinion publique n’inclinent à la clémence. L’Inde est une contrée lointaine et mal connue. Cette révolte est survenue dans l’immédiat après-guerre de Crimée, à un moment où la nation se sentait vulnérable dans son économie et ses forces armées. L’entrevue d’Osborne a suscité un regain de méfiance entre la France et l’Angleterre, qui dans leurs journaux respectifs s’accusent mutuellement d’être de mauvaise foi. Les multiples tentatives de l’empereur pour faire bouger les lignes établies par les vainqueurs de Waterloo en 1815 se heurtent à l’inertie des Anglais et attisent leurs craintes.
Le 14 janvier 1858, dix jours avant le mariage annoncé de la princesse royale, alors que Napoléon III et l’impératrice arrivent à l’Opéra de Paris, rue Le Peletier, trois bombes explosent sous leur voiture. Le prince Ernest, frère d’Albert, qui les attendait dans la loge impériale, s’est précipité vers l’entrée en entendant les explosions. Il rapporte la scène à Victoria qui la transcrit le lendemain dans son journal.
« Le vacarme et les cris étaient terrifiants, ainsi que la bousculade de la foule ensanglantée qui se pressait autour de l’empereur et de l’impératrice. L’empereur avait le nez égratigné et la robe de l’impératrice était éclaboussée du sang des blessés qui se trouvaient autour d’elle. L’impératrice était merveilleusement calme et courageuse, plus encore que l’empereur. Ils sont restés jusqu’à la fin de la représentation. »
Le couple impérial ne doit la vie sauve qu’au blindage de sa voiture. L’attentat a fait douze morts et cent cinquante-six blessés. Ses auteurs, des indépendantistes italiens menés par Félix Orsini, ont préparé leur coup à Londres et les bombes ont été fabriquées à Birmingham. Napoléon III a déjà écrit personnellement à la reine pour protester contre la suite ininterrompue d’assassins qui s’entraînent et s’équipent en Angleterre pour le tuer, et que les autorités britanniques laissent passer en France. Walewski, ministre des Affaires étrangères, envoie à son homologue anglais par l’intermédiaire de Persigny,
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