Victoria
défend pas d’en être jalouse et ne supporte pas l’idée que le bonheur conjugal de sa fille puisse être aussi grand que le sien. Cela ne se peut tout simplement pas.
« Tu sais, ma très chère, que je n’admets jamais qu’une autre femme puisse être aussi heureuse que moi, et je ne peux admettre aucune comparaison, car je maintiens que Papa est sans égal, que ce soit dans le présent, le passé ou l’avenir. »
À la veille du dix-huitième anniversaire de leur mariage, elle se félicite des bienfaits qui ont découlé de cette union, non seulement pour la Grande-Bretagne mais aussi pour l’Europe. L’exceptionnelle perfection d’« Albert le Bon », elle en est convaincue, a redoré le blason de la monarchie britannique, en sorte qu’elle est aujourd’hui plus respectée et plus populaire que jamais. Par exemple, les marchands du West End ont fait une pétition pour que Son Altesse Royale le prince consort soit fait « roi consort » et se voie attribuer le titre de « Majesté ».
Victoria entretient avec les grandes dames des cours d’Europe tout un réseau de correspondances, dans lequel elle peut désormais introduire sa fille. Cela leur permet de savoir ce que l’on pense et ce qui se dit des unes et des autres. En se tenant ainsi informée des moindres bruits, chacune peut rectifier constamment son attitude et peaufiner sa réputation. Vicky doit y veiller et prendre garde que son bonheur ne lui fasse pas, ne serait-ce qu’un instant, relâcher sa vigilance et son self-control : pas de familiarités, pas de rire bruyant, etc. Par exemple, la duchesse d’Orléans communique à Victoria copie d’un extrait d’une lettre de la grande-duchesse Alexandrine de Mecklembourg-Schwerin. Elle en transmet le contenu à Vicky, en la priant de surtout n’en rien laisser paraître, puisqu’elle n’est pas censée en avoir connaissance. La première impression est bonne : on trouve la princesse aimable et pleine de gentillesse.
« Il n’y a qu’une chose que je ne comprends pas. Elle dit : “Elle est si petite !” Ce qui, étant donné que tu es nettement plus grande que moi et que je ne suis pas une naine, est plutôt dur. »
Le mois suivant, Vicky lui apprend qu’elle s’est foulé la cheville. « Je suis sûre, lui dit sa mère, que tu avais des talons trop hauts. » C’est toutefois le moindre des soucis qu’elle se fait pour sa santé. Vicky pense-t-elle bien à ouvrir les fenêtres pour aérer ses appartements ? Veille-t-elle à ne pas rester trop longtemps dans des pièces trop chauffées ? Prend-elle assez d’exercice ? Elle lui reproche de ne pas répondre à toutes ses questions et de ne pas écrire assez régulièrement. Cela pourrait laisser croire qu’elle se plaît en Allemagne au point que l’Angleterre ne lui manque pas. Même « Bertie est choqué que tu aimes tellement tout ». Il faut encore qu’elle la gronde parce que, dans sa dernière lettre, elle s’est trompée en numérotant les pages. Si elle n’y prend pas garde, elle sera bientôt aussi négligente que Bertie. « Hélas ! Pauvre Bertie. » Quand elle le compare à ses frères Alfred et Arthur, la déception et l’inquiétude l’envahissent.
« Je suis totalement désespérée ! Cette oisiveté systématique, cette paresse, ce dégoût de toute chose suffisent à vous briser le cœur et me remplissent d’indignation… Mais ne le dis pas à âme qui vive ! »
Pourtant, il a bon cœur, il est doux, affectueux. Si seulement il était un peu plus réfléchi, travailleur, et s’il savait se tenir. Le mariage, peut-être, pourrait l’assagir, à condition de trouver la perle rare.
« Nous devons chercher une princesse pour Bertie. Oh ! Si seulement tu pouvais nous en trouver une ! »
Encore une fois, pourquoi Vicky n’écrit-elle pas plus souvent des lettres plus brèves, plutôt que d’attendre si longtemps et d’en envoyer de très longues ?
« Le mariage est une telle loterie ! Le bonheur est toujours un échange, même si c’est parfois pour le meilleur, pourtant la pauvre femme est physiquement et moralement l’esclave du mari. Voilà ce qui me reste toujours en travers de la gorge, quand je pense à une jeune fille heureuse, joyeuse et libre, et que je vois le pénible état qui est généralement le lot d’une jeune épouse, ce qui, tu ne peux le nier, est la sanction du mariage. »
Au mois de mai, Fritz écrit à Albert pour lui annoncer que Vicky
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