Victoria
vaisseaux de guerre, puis reviennent au port pour dîner à bord du Bretagne . Le général Mac-Mahon est assis à leur table parmi d’autres officiers. Ils portent un toast à la reine. Quand Albert répond par un discours, Victoria est soudain transie d’angoisse à la pensée que, dans ce contexte où tout le monde épie leurs moindres faits et gestes, quelqu’un n’aille interpréter de travers une de ces paroles.
« Je tremblais tellement que je n’ai pas pu boire ma tasse de café. »
La journée se termine par un feu d’artifice d’une ampleur impressionnante. Dès le lendemain, la presse anglaise abonde en propos alarmistes, fustigeant les menaçants préparatifs de guerre dont les Français font étalage à Cherbourg. Albert a demandé à un officier du génie de l’accompagner, en le faisant passer pour un gentilhomme de sa maison civile, afin qu’il évalue d’un œil expert les fortifications normandes. Victoria échange quelques mots assez froids avec son ministre des Affaires étrangères, Lord Malmesbury. Celui-ci ne veut pas se laisser convaincre d’entreprendre, de l’autre côté de la Manche, des ouvrages défensifs qui rétabliraient l’équilibre avec ce qu’elle vient de voir.
« Deux mesures s’imposent, écrit le roi des Belges à Victoria. 1) Faire tous les efforts possibles pour rester personnellement en bons termes avec l’empereur, ce qui est possible. Une partie de l’Angleterre dit que c’est la nation française que vous devez aimer, ce qui n’est pas possible, car les Français n’aiment pas les Anglais en tant que nation, bien qu’ils puissent se montrer aimables avec vous personnellement. 2) L’autre chose à faire, au lieu d’échanger trop d’insultes inutiles, est d’organiser la Navy pour qu’elle soit supérieure à la marine française. En dehors de ces deux points, rien n’a de sens. »
Le 14 août 1858, Victoria et Albert arrivent au château de Babelsberg, à Potsdam, où ils viennent voir Vicky et Fritz. Bien que ce soit une visite privée, ils sont très cordialement reçus à la cour. Dans une chaleur torride qui les met mal à l’aise, ils se sentent oppressés par un trop grand nombre de réceptions officielles à l’atmosphère compassée.
« Pas un membre de la famille royale, écrit le médecin de la reine Sir James Clark, pas un prince, qui paraisse jamais autrement que dans la raideur de l’uniforme, et tout le pays semble jouer aux soldats. »
En cette année 1858, le roi Frédéric-Guillaume IV perd visiblement la raison. Son frère Guillaume, le père de Fritz, l’assiste et s’apprête à assurer la régence. Albert s’en félicite, car il y voit la possibilité que la Prusse s’engage dans une politique plus libérale. Il se peut, néanmoins, que cela explique un peu l’atmosphère embarrassée qui règne à Potsdam au moment de leur visite. S’ils apprécient de revoir Vicky, la princesse paraît soucieuse. Elle a fait une mauvaise chute sur un parquet ciré, dans le vieux château de Berlin. Bien qu’elle n’en ait rien dit à Victoria, elle s’inquiète pour son bébé. Sa cheville foulée l’a empêchée de rejoindre Albert à Cobourg au mois de mai. Pourtant, une seule ombre pèse véritablement sur ces retrouvailles : c’est l’appréhension de leur fin. Quand vient le moment de se séparer, Vicky et Victoria pleurent longuement dans les bras l’une de l’autre.
« Tout serait assez facile, songe la reine, sans la pensée que je ne pourrai pas être avec elle à ce moment critique où toute mère veut être auprès de sa fille. »
À Osborne, le prince Alfred, ce cher Affie, accueille ses parents dans son candide uniforme de cadet de marine. Il rougit de leur annoncer qu’il vient de réussir brillamment ses examens, fier de sa première affectation sur l’ Euralyus .
Puis, enfin, revient septembre et le temps des vacances à Balmoral. La pluie salutaire, le vent glacé qui nettoient ces beaux paysages, le solide bon sens du peuple écossais, la rude gaieté des Highlanders guérissent un peu le couple royal d’une année éprouvante. Le soir du 14 septembre, tout le monde regarde passer la comète de Donati, dans l’air clair et « agile » des Highlands. Les montagnards prétendent que c’est un signe de guerre et de pestilence, mais ce n’est bien sûr que superstition. Les randonnées avec Alice et Lenchen, dans ces lieux idéaux qui restent froids et humides toute
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