Victoria
rangs !
Prêts, soyez prêts pour l’orage !
Fusiliers ! Formez ! Formez vos rangs !
Dans les bourgs, les volontaires se regroupent en centuries, commandées par des capitaines. Ce sont des ouvriers, des paysans et des hommes de la classe moyenne, sous la houlette de la noblesse locale. Ils s’équipent à leurs frais. Souvent, les sociétés de chasse et les clubs de tir fournissent les armes, les femmes cousent les uniformes. Dans les comtés les plus riches, si les donations le permettent, ils ont des chevaux, quelques pièces d’artillerie légère, parfois même des brancardiers et du personnel médical. Ils se mobilisent sur les places, manœuvrent et s’entraînent dans les champs communaux, se préparant à donner du fil à retordre à l’envahisseur. À proximité des grandes villes, ils se rassemblent pour d’imposantes parades. Leurs cohortes, nombreuses, plus ou moins bien alignées, rassurent les foules qui les acclament.
Dans le Devon, la reine passe en revue les « fusiliers Victoria », qui s’appelaient autrefois les « francs-tireurs du duc de Cumberland ». À côté d’elle, Palmerston s’appuie lourdement sur ses deux cannes. Sous le soleil d’août, les défenseurs des libertés britanniques transpirent avec ferveur.
« Quel spectacle impressionnant, n’est-ce pas ? lance Palmerston.
— Oui, tout à fait. Mais ne pensez-vous pas qu’il y a comme une…, dit Victoria en portant son mouchoir de dentelle à son nez.
— Oh ! C’est ce qui s’appelle l’ esprit de corps », répond Old Pam dans la langue de Voltaire.
La crainte d’une invasion française prend de l’ampleur. Gladstone, ministre des Finances, n’y croit pas. Pourtant, Palmerston fait bâtir quelques fortifications sur la côte sud ; peut-être cède-t-il seulement aux sollicitations pressantes du prince consort. Albert, fatigué et inquiet, se laisse gagner par l’excitation antifrançaise qui s’empare du pays. « Napoléon a vendu son âme au diable, dit-il dans un moment d’abandon, et Cavour peut faire de son honneur ce qu’il lui plaît. » La méfiance règne jusqu’en Chine, où une force franco-britannique tente de remonter la rivière Peï-Ho sans parvenir encore à investir Pékin. Palmerston a veillé à ne pas équiper les soldats anglais du dernier modèle de fusil Whitworth, pour que les Français ne le voient pas.
À Balmoral, la famille royale accueille ses hôtes devant le château. Albert et ses fils, les jeunes princes Arthur et Léopold, sont en costume des Highlands. Pour l’occasion, Victoria et ses filles, les princesses Alice, Helena et Louise, portent aussi la jupe de tartan Royal Stewart et la veste spencer, très ajustée, de velours noir. Tandis que la cornemuse joue, ils regardent arriver quatre gros omnibus, pleins de « philosophes ». Albert présidait encore la veille, à Aberdeen, le congrès de l’Association britannique pour l’avancement de la science. Il y a fait un discours très remarqué en faveur du développement des sciences, de la technologie et de l’éducation. Pour finir, il a invité les congressistes à Balmoral, pour assister à des jeux traditionnels écossais. Après le dîner, tout ce beau monde admire les athlètes qui s’affrontent sur le pré. Le spectacle le plus impressionnant est le lancer du claber , ce tronc d’arbre de cinq mètres de long qu’il faut soulever à la verticale et projeter pour lui faire faire un demi-tour en l’air. Les vainqueurs, drapés dans leurs plaids, reçoivent leurs médailles des mains de la reine. Puis, comme toujours en Écosse, tout se termine par des danses.
L’enthousiasme d’Albert pour la recherche scientifique et les innovations de toutes sortes semble ne pas connaître de limites. Il lit un grand nombre d’ouvrages, se tenant scrupuleusement au courant des dernières parutions, suivant aussi avec intérêt les travaux de vulgarisation. Cette année, par exemple, il a remarqué avec approbation la publication du livre d’un certain Samuel Smiles, Self-Help . C’est une espèce de manuel de réussite individuelle destiné à tous, qui expose les divers moyens de s’enrichir en cultivant ses vertus personnelles.
« Chaque être humain, écrit Smiles, a une grande mission à réaliser, de nobles facultés à cultiver, une immense destinée à accomplir. Il devrait avoir les moyens de s’éduquer et d’exercer librement les forces de sa nature divine. »
Smiles
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