Victoria
manières d’être, qui sont à leurs yeux la pente fatale où glisse trop aisément la monarchie, et qui causa la chute de trop de têtes couronnées. C’est pourtant pour ces raisons mêmes que le public aime Bertie. Comme pour faire contre-poids à la royale sévérité de ses parents, la presse et le peuple anglais, toujours du côté du plus faible, ont beaucoup d’affection pour le « cher petit prince de Galles ». Ils suivront d’un œil indulgent ses aventures à Berlin, puis à Rome où il doit rencontrer le pape, avant qu’il ne revienne étudier à Édimbourg, puis à Oxford.
Vers la fin de l’année, comme chaque hiver, la santé d’Albert faiblit. Il prend froid, souffre de l’estomac et des gencives. Le prince consort semble vieillir avant l’âge. Pâle et déprimé, il continue de se surmener, s’abîmant dans un excès de travail qui le mine. Une sorte de résignation stoïque remplace peu à peu sa joie de vivre. Il se compare à l’âne du moulin, près d’Osborne, qui tourne sa roue sans relâche et sans espoir.
Les premières semaines de 1859 apportent un regain d’inquiétudes. En Italie, Cavour et le roi de Piémont-Sardaigne, forts du soutien promis par Napoléon III, multiplient les provocations contre l’Autriche. La guerre qui s’annonce, parce qu’elle sera la remise en question longtemps attendue du traité de 1815, inquiète les puissances européennes. À Berlin, le prince-régent Guillaume, père de Fritz, est tiraillé entre les opinions divergentes de ses compatriotes. Quand le conflit éclatera, la Prusse devra-t-elle soutenir l’Autriche, comme le peuple le lui demande ? Une victoire de l’Autriche lui donnerait dans les États germaniques une position dominante, qui ne ferait pas les affaires des Prussiens, dans la perspective d’une prochaine unification de l’Allemagne. D’un autre côté, un succès de la France ferait resurgir le spectre de son premier Empire, mais sa défaite pourrait offrir une opportunité à la Prusse de passer le Rhin pour conquérir l’Alsace et la Lorraine.
Bertie revient de Berlin décoré de l’ordre de l’Aigle noir et porteur d’une lettre confidentielle du régent pour son père. Guillaume demande conseil à Albert, qui lui répond que les Prussiens seraient bien avisés d’observer la même neutralité que les Anglais dans cette affaire, tout en se tenant militairement prêts à toute éventualité.
Le 27 janvier 1859, Vicky a donné naissance à un prince. L’accouchement a été long et difficile, et l’enfant a souffert. Son bras gauche a été abîmé par les forceps. Sa mère s’accable de reproches. Elle est convaincue que la mauvaise chute qu’elle a faite quelques mois auparavant a déplacé le bébé dans son ventre, et qu’à cause de cela il s’est présenté par le siège. Pour des raisons d’État, Victoria ne peut pas aller à Berlin voir son premier petit-fils, pas même pour son baptême. Heureuse d’être sa marraine, elle a décidé que tous ses petits-enfants porteraient le nom d’Albert. Le prince se nommera donc Frédéric-Guillaume Victor Albert de Hohenzollern.
En Angleterre, la situation internationale a des répercussions sur la politique intérieure. Exceptionnellement, Victoria modifie le discours d’ouverture du Parlement que lui soumet son Premier ministre, pour réaffirmer clairement « la détermination de la reine à maintenir la neutralité en toutes circonstances ». Certes, la Couronne et le gouvernement conservateur de Derby sont favorables au statu quo du traité de Vienne de 1815. Néanmoins, ils souhaitent avant tout désamorcer le conflit et le circonscrire s’il éclate. D’autre part, l’opinion publique dans son ensemble, bien qu’assez mal disposée envers les Français, soutient la cause italienne, de même que Palmerston avec l’opposition libérale et radicale. Par ailleurs, un bras de fer s’engage alors au Parlement sur la question d’une réforme électorale devant étendre le droit de vote à la classe ouvrière. Car le projet de loi proposé par Disraeli, leader des Communes, est si compliqué et partisan qu’il ne satisfait personne. Palmerston ironise : citant Voltaire, il dit qu’il ne demande pas la démission du Premier ministre, mais « le condamne à rester à son poste ».
En Italie, Mazzini et Garibaldi rassemblent leurs chasseurs alpins. Fin avril, après un ultimatum sommant les Italiens de désarmer sur-le-champ,
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