Victoria
concurrentielle. L’Angleterre y perdra des sources de revenu, sans autre contrepartie, ou presque, que de meilleurs prix sur le vin.
Les conservateurs, puis la cour, ne mettent pas longtemps à apercevoir la tête de Palmerston cachée derrière le petit doigt de Cobden, qui ne voyageait manifestement pas seul à Paris. Car ce traité commercial s’avère bientôt couplé avec une proposition d’accord entre l’Angleterre et la France garantissant l’indépendance de l’Italie. La manœuvre paraît d’autant plus claire, quand est publiée à Paris une brochure de Félix Dupanloup, Le Pape et le Congrès , révélant que l’empereur souhaite régler la question italienne par une triple alliance entre l’Angleterre, la France et la Sardaigne.
La reine s’oppose catégoriquement à ce nouveau projet. À n’en pas douter, le prince consort partage sa fermeté sur ce point. Plus que quiconque, Albert est persuadé que le prochain coup de Napoléon sur l’échiquier européen consistera à demander une rectification de la frontière française sur le Rhin. Lorsque le conflit que cela ne manquera pas de provoquer éclatera, mieux vaudra pour la Grande-Bretagne n’avoir pas les mains liées par un tel traité. Une politique similaire de Palmerston a naguère entraîné le pays dans la guerre de Crimée. Victoria et Albert, non plus que l’opinion publique, n’en ont pas gardé un excellent souvenir.
Dans cette atmosphère de suspicion, une information commence de circuler sur une clause secrète des accords passés entre Napoléon III et Cavour, au moment des entretiens de Plombières en 1858. Le roi de Piémont-Sardaigne offre à la France d’annexer le duché de Nice et le comté de Savoie. En Angleterre, l’indignation gronde. Cette nouvelle confirme tous les soupçons qui pèsent sur les intentions des Français et la roublardise de leur empereur. Le cabinet libéral semble compromis par ses menées confidentielles avec Napoléon III. Disraeli, le tribun du parti conservateur, monte au créneau. Palmerston connaissait-il ces accords franco-italiens ? Bien sûr que non ! Il est en mesure d’affirmer sans mentir que son gouvernement est « entièrement libre de tout engagement avec quelque puissance étrangère que ce soit concernant les affaires de l’Italie ». En revanche, le traité commercial Cobden-Chevalier vaut à Napoléon III d’être acclamé à Manchester et à Londres. Les journaux britanniques changent leur fusil d’épaule, pour encenser l’empereur des Français qu’ils éreintaient la veille encore.
Au printemps, Napoléon III envoie à Palmerston, par l’intermédiaire de Persigny, des signes montrant qu’il désire maintenir la bonne entente de la France avec l’Angleterre. Dans le même temps, des articles paraissent dans la presse française qui laissent entendre que la Prusse pourrait jouer pour l’unification de l’Allemagne un rôle similaire à celui de la Sardaigne pour l’Italie. La France s’en féliciterait, pour peu qu’en contrepartie elle puisse étendre sa frontière sur le Rhin. Albert et Victoria s’en émeuvent. Ne l’avaient-ils pas prédit ? Certes, mais c’est un secret de Polichinelle. Napoléon III rencontre à Baden le prince-régent de Prusse et les souverains de la Confédération germanique. Le régent Guillaume transmet à Albert, à titre personnel, un compte rendu de cette paisible conférence. Après tout, peut-être ces questions sensibles trouveront-elles une issue diplomatique. La guerre n’en demeure pas moins dans tous les esprits, et l’atmosphère instable.
Albert est plus qu’inquiet. Ce climat de tension, ces emportements déraisonnables de la reine, sans cesse réitérés, pèsent de plus en plus visiblement sur son moral et sa santé. Victoria, fatiguée elle aussi, continue de perdre son sang-froid de temps à autre en privé, malgré tous ses efforts pour préserver son self-control. De pénibles scènes éclatent sans prévenir, comme des orages dans un ciel bleu. Albert ne comprend pas vraiment pour quel motif Victoria l’accuse soudain de tous les maux. Elle le poursuit de ses invectives d’une pièce à l’autre et rien ni personne ne peut l’arrêter. Puis, tout à coup, la crise cesse aussi mystérieusement qu’elle est apparue.
« Le seul résultat de mes efforts, lui écrit-il, est de m’entendre accuser d’insensibilité, d’injustice, de haine, de jalousie, de méfiance, etc., etc. Je fais
Weitere Kostenlose Bücher