Victoria
et désolé, dit Victoria à Vicky, quand je l’entends me dire qu’elle est “heureuse et fière” d’être la femme de Louis ! »
La reine n’a pas fait grand cas de la naissance du troisième enfant de Vicky, le prince Henri de Prusse. « Je n’admire toujours pas plus les bébés », dit-elle. Le bonheur des autres lui est indifférent. Toute expression de gaieté ou de vie lui répugne. La moindre conversation lui paraît d’une intolérable futilité. La sociabilité de Bertie, ou simplement ses bavardages débonnaires avec ses frères et sœurs l’indisposent. Elle voue une animosité persistante au prince de Galles. Car elle persiste à penser que par sa manière d’être, et surtout par ses frasques au Curragh de Kildare, il porte une large part de responsabilité dans la mort d’Albert. Sans se l’avouer tout à fait, elle envisage son prochain mariage comme une sorte de punition que lui imposera d’outre-tombe la volonté de son père.
Impatiente d’appliquer la loi d’Albert, Victoria se rend le 3 septembre à Laeken, près de Bruxelles, pour y rencontrer la princesse Alexandra et ses parents, sous les auspices du roi des Belges. À la ravissante promise, toute de noir vêtue, elle remet un brin de bruyère blanche, qu’elle a fait cueillir par Bertie à Balmoral. La reine ne participe pas au déjeuner, qu’elle prend seule avec Béatrice. À Russell, qui l’accompagne au nom du gouvernement, elle redit que cette union ne doit pas être considérée comme politique, en dépit de la question du Schleswig-Holstein. Un peu plus tard le même jour, elle reçoit un télégramme chiffré de Bertie lui annonçant que sa demande en mariage vient d’être acceptée. « C’est donc entendu. » Puis elle poursuit son voyage vers Cobourg, où elle souhaite revoir le pays natal d’Albert.
De retour à Balmoral comme chaque automne, entre deux visites éplorées aux veuves dans les chaumières du voisinage, la reine apprend encore une affreuse nouvelle. Le prince Alfred, ce cher Affie, a toujours mérité l’admiration de ses parents, tant il paraît en tout point le contraire de Bertie. Voici qu’à Malte il vient de commettre la même horreur que le prince de Galles au Curragh de Kildare. À tout le moins, quand sa mère le réprimande, se montre-t-il sincèrement repentant. Indépendamment de ce déplorable faux pas, Alfred se voit offrir de succéder au roi Othon I er sur le trône de Grèce à l’issue d’une consultation populaire. Il n’a que 18 ans : Victoria le trouve beaucoup trop jeune. Le duc Ernest propose alors de régner lui-même à Athènes, tandis qu’Alfred le seconderait à Cobourg. Victoria ne peut envisager sereinement de se passer de lui. « Ce cher Affie, si intelligent, est un charmant compagnon, et je pense qu’il ressemble de plus en plus à son bienheureux Papa. » Le trône de Grèce reviendra finalement au prince Guillaume de Danemark, frère d’Alexandra, qui régnera sous le nom de Georges I er . En attendant de reprendre docilement la mer, Affie se console en se découvrant une passion pour la pêche au saumon dans les rivières d’Écosse.
La nuit du 5 novembre, sur l’île de Wight, Victoria regarde le paysage marin du Solent que la pleine lune argente. Au loin, les lumières de Southampton et Portsmouth dorent le ciel nocturne. Dans ce paysage féerique, un convoi de navires illuminés de bleu se dirige vers le port de Cowes. Une heure plus tard à peine, elle accueille dans le hall d’Osborne la princesse Alexandra et son père. Victoria conduit à sa chambre celle dont le destin est d’être reine d’Angleterre après elle. Si les mariages de Vicky et d’Alice l’ont navrée, celui de Bertie la remplit de joie, car elle y gagne une fille au lieu de la perdre.
« Combien j’en prenais conscience en serrant la chère Alix dans mes bras ! »
Alexandra s’attache immédiatement à Helena. Alix a 18 ans, Lenchen en a 16. La première est aussi belle, grande et mince que la seconde est boulotte, courtaude et peu jolie. Les deux princesses s’aiment comme deux sœurs. Victoria l’écrit aussitôt à Vicky, qu’elle ne saurait trop remercier d’avoir trouvé pour Bertie et pour elle ce « bijou », qui paraît n’avoir d’autre défaut qu’une difficulté d’audition qu’elle tient de sa mère.
« Elle est une de ces douces créatures qui semblent venues du ciel pour aider et bénir les pauvres mortels,
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