Victoria
1883, une loi au moins ne fait l’objet d’aucune obstruction notable : celle qui réglemente la possession de substances explosives. Elle est motivée par une série d’attentats à la bombe, à Liverpool et à Londres, contre des bâtiments ministériels de Whitehall et les bureaux du Times . Scotland Yard et la police métropolitaine de Londres sont également touchés par cette campagne de dynamitage, attribuée aux fenians.
En février, la reine assiste au baptême de la fille de Léopold et d’Hélène, que leurs parents ont choisi de nommer Alice, en souvenir de sa tante défunte. Victoria se déplace difficilement, appuyée sur une canne, blessée au genou à la suite d’une mauvaise chute dans les escaliers de Windsor. Elle n’est plus suivie par son fidèle John Brown, gravement atteint d’érysipèle, la maladie qui fut fatale à la duchesse de Kent. Il décède le 27 mars 1883.
« C’est la perte non pas seulement d’un serviteur, mais d’un véritable ami. »
Le choc émotionnel la plonge dans un état dépressif qui aggrave sa douleur au genou. La crise de rhumatisme aigu qui se déclenche lui fait perdre l’usage de ses jambes. Des vagues d’angoisse la submergent, à toute heure du jour ou de la nuit, si bien qu’elle ne dort plus guère et se trouve fort diminuée. Pendant plusieurs semaines, elle exclut de sa table tous les convives masculins. Seule, sans la présence de Brown qui veillait constamment sur elle, Victoria n’a plus que Béatrice sur qui se reposer. Il n’y a personne d’autre à qui elle puisse parler librement. Les personnes de son entourage sont des secrétaires particuliers, des dames de compagnie ou des serviteurs, avec qui elle demeure toujours plus ou moins sur ses gardes.
La vague d’attentats à l’explosif fait peser sur les esprits une inquiétude lourde. On voit des fenians derrière tous les buissons. Lady Florence s’est crue attaquée à Windsor par deux hommes déguisés en femmes. Il n’en était rien, mais ces frayeurs augmentent l’anxiété de la reine. Ponsonby est chargé de veiller à ce que les déplacements de Sa Majesté soient entourés du plus grand secret.
Victoria s’efforce de surmonter son état dépressif par le travail. Le Premier ministre se remet lentement d’une indisposition, dont elle de doute pas que le surmenage soit la cause.
« Le cerveau et le système nerveux, écrit-elle à Granville, ont clairement été mis à rude épreuve, chose vraiment inévitable pour tout homme public en ce moment, à moins qu’il ne ménage ses forces. »
Elle n’est toutefois pas mécontente que certains journaux reprochent à ses ministres de ne pas faire assez grand cas de ses conseils. Parmi les ouvrages récents qu’elle lit, elle est particulièrement frappée par celui du révérend Andrew Mearns, Plainte amère du Londres des déclassés . Les descriptions qu’il y fait des déplorables conditions de logement de la classe ouvrière sont choquantes. Victoria demande à Gladstone de mettre en place une commission d’enquête.
« Elle ne peut faire autrement que de penser, écrit-elle à Galdstone, que parmi les questions débattues actuellement il y en a de moins importantes, et qui pourraient attendre jusqu’à ce que celle-ci, qui concerne la vie de milliers, et même de millions, ait été dûment prise en compte par le gouvernement. »
Au nombre des livres dont elle reçoit des exemplaires, celui de J. A. Seeley, L’Expansion de l’Angleterre , retient plus particulièrement son attention. C’est une apologie de l’Empire britannique, au motif que son administration de l’Inde s’exerce dans l’intérêt des Indiens. Seeley considère que la Grande-Bretagne a fait la conquête de ses colonies sans tout à fait réaliser ce que cela impliquait. Car elles lui apportent plus de dangers que d’avantages, et lui créent en revanche des responsabilités et des obligations. Néanmoins, il présente l’impérialisme comme une chance pour la nation britannique de se hisser à un échelon mondial, et d’échapper ainsi aux rivalités insolubles de l’Europe.
Voilà qui ferait une saine lecture pour Gladstone et ses ministres, à qui elle reproche de ne pas s’intéresser suffisamment à la politique extérieure. « Mr Gladstone se soucie peu des Affaires étrangères, écrit-elle à Vicky, et les comprend encore moins. » Cela étant, elle n’est pas du tout sûre que cela l’amuse d’apprendre
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