Victoria
proclame le mahdi sultan de Kordofan pour se mettre en position de négocier avec lui. Il brûle en public les archives égyptiennes contenant les relevés d’impôts impayés. Il autorise la possession d’esclaves domestiques et libère un certain nombre de prisonniers. Enfin, il passe un marché avec son adversaire de la veille, Sebehr Rahma, à qui il offre la liberté en échange de son aide contre les mahdistes. Ce négrier se trouve aussi descendre des Abbassides ; à ce titre Gordon veut l’installer au pouvoir comme gouverneur du Soudan.
Londres s’offusque que Gordon s’acoquine avec cet esclavagiste. Gladstone s’incline devant les objections de ses ministres. Gordon se retrouve piégé dans Khartoum. Le gouvernement tergiverse, empêtré dans une politique africaine complexe, au moment où les puissances européennes palabrent sur la meilleure manière de se partager l’Afrique à la conférence de Berlin. Gordon tente d’envoyer son lieutenant, le colonel Stewart, collecter des fonds privés pour monter l’expédition de secours que Whitehall lui refuse sans jamais le dire franchement. Stewart, en descendant le Nil en bateau à vapeur, est massacré par les mahdistes. Gordon abandonné, assiégé dans Khartoum, compte les jours en écoutant les tambours incessants de l’ennemi.
Victoria, au désespoir, s’efforce en vain de secouer ses ministres. Elle écrit à Gladstone : « La Reine tremble pour la vie de Gordon. S’il lui arrive quelque chose, les conséquences seront terribles. » Elle écrit à Lord Hartington, secrétaire d’État à l’Inde « très paresseux », que Disraeli surnommait « Harty-Tarty » :
« Gordon en danger : vous êtes dans l’obligation d’essayer de le sauver. Des troupes indiennes pourraient sûrement venir d’Aden : elles supporteraient le climat. Vous avez contracté d’effrayantes responsabilités. »
« Un autre coup terrible, écrit Victoria dans son journal le 28 mars 1884, s’est abattu sur moi et sur nous tous aujourd’hui. Mon Léopold adoré, ce fils brillant, intelligent, qui avait tant de fois guéri de si affreuses maladies, et de divers petits accidents, nous a été enlevé ! »
Le prince Léopold est mort à Cannes, des suites d’une chute dans les escaliers. Depuis toujours on craignait qu’un simple accident de cette sorte ne lui fût fatal, et voici qu’il disparaît à 29 ans, alors que son épouse la princesse Hélène attend un deuxième enfant.
Quel que soit son chagrin de mère, Victoria se contraint à le surmonter devant l’urgence des affaires d’État. L’indécision prolongée de Gladstone et de ses ministres, qui paralyse l’action de Gordon au Soudan, est à ses yeux une preuve de plus de leur incompétence à diriger le pays. Elle le leur fait savoir par le truchement de Ponsonby.
« La conduite du gouvernement dans l’affaire égyptienne est parfaitement déplorable. Elle est universellement condamnée : cette faiblesse et cette vacillation font que tout le monde nous méprise. La Reine doit faire un effort pour sauver le pays de la disgrâce. »
Que peut-elle faire ? Il faudrait ordonner l’intervention de troupes indiennes par la mer Rouge et Port-Soudan. Dans un contexte de tension internationale, tout particulièrement avec l’Allemagne de Bismarck qui convoite la colonie portugaise d’Angra Paquena en Namibie, Harty-Tarty n’aura jamais cette audace.
« Je suis tellement impuissante, écrit-elle à la Kronprinzessin de Prusse. Les ministres sont si faibles et obstinés que je n’ai aucun espoir d’aucune sorte. Être une souveraine et être incapable de prévenir de graves erreurs est une tâche très ardue et très ingrate. Ce gouvernement est le pire auquel j’aie jamais eu affaire. Ils n’écoutent jamais rien de ce que je dis et commettent de graves erreurs. »
Les ministres libéraux se désintéressent d’autant plus de Gordon qu’ils sont mis en difficulté sur la réforme électorale. Le pays est engagé dans une extension progressive du droit de vote. La Chambre haute vient d’opposer son veto à la nouvelle loi. Gladstone s’emporte, cédant au discours des radicaux qui souhaiteraient abolir ou neutraliser les Lords : « les refaire ou s’en défaire ». Victoria estime qu’il est de son devoir d’intervenir. Car il s’agit des institutions britanniques, telles qu’elles existent depuis l’Acte d’union de 1707 avec l’Écosse et celui
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