Victoria
l’expansion de l’Égypte au Soudan, il établit des stations sur la vallée du Nil, jusqu’à la frontière de l’Ouganda. La volonté des Anglais de mettre un terme à la traite des esclaves, les relations difficiles entre le Soudan et l’Abyssinie voisine, limitent ses succès. En 1880, le roi des Belges lui propose de prendre en charge le Congo, à moins qu’il n’accepte de commander les forces de la colonie du Cap, ou bien encore le poste le gouverneur général de l’Inde.
Gordon est une icône flamboyante de l’héroïsme britannique. Spadassin des temps modernes auréolé de gloire, il est réputé pour charger à la tête de ses troupes armé d’une simple canne qu’il appelle sa « baguette magique de la victoire ». Chrétien évangélique, croyant en la réincarnation, auteur d’un ouvrage de Réflexions sur la Palestine pour le moins étonnant, Gordon est une sorte de mystique.
Au Soudan, la révolte contre l’intrusion égyptienne et occidentale s’organise. Un cheik soufi, Muhammad Ahmad, qui se prétend le Mahdi, le Sauveur de l’islam, entraîne ses derviches avec un art de la guerre remarquable. En 1883, une expédition anglo-égyptienne, menée par le général Hicks, est prise au piège dans Khartoum. Le gouvernement de Gladstone veut seulement évacuer les vingt mille soldats et colons et les rapatrier en Égypte. La tâche est délicate et Gordon paraît l’homme de la situation.
« Voudriez-vous essayer ?
— Certainement, avec plaisir. »
En janvier 1884, Gordon fait route vers l’Égypte. Victoria retrouve son énergie. Elle écrit directement au général Sir Evelyn Wood, sirdar , c’est-à-dire commandant en chef, de l’armée égyptienne.
« La meilleure solution pour la difficulté du Soudan a été adoptée, nommément : l’emploi de G. Gordon (dit le Chinois). Pourquoi cela n’a pas été fait il y a longtemps et pourquoi la chose qu’il faut n’est jamais faite avant d’être absolument extorquée à ceux qui sont en position d’autorité, est inexplicable pour la Reine. »
Entre autres circonstances qui l’aident à surmonter son abattement des mois précédents, Victoria voit paraître le deuxième volume de son journal des Highlands : Nouvelles feuilles… Le tome, qui couvre les années 1861 à 1882, est dédicacé « à mes loyaux Highlanders, et tout spécialement à la mémoire de mon serviteur personnel dévoué et fidèle ami John Brown ». Le succès de librairie est immédiat. Elle souhaite également publier le journal de John Brown. Ponsonby, jugeant l’ouvrage potentiellement explosif, fait demander l’avis de deux ecclésiastiques, qui dissuadent la reine. Déjà, les vieilles rumeurs se réveillent et l’insolent Swinburne rédige une pièce satirique, où le prince de Galles venge son père en tuant Brown.
En ce début de l’année 1884, la mode londonienne est aux idées socialistes. Un groupe d’intellectuels, au nombre desquels George Bernard Shaw, Leonard Woolf, H. G. Wells ou bien encore Sidney et Beatrice Webb, ont fondé la Société des Fabiens. Ce nom, qu’ils empruntent au général romain Quintus Fabius Verrucosus, dit cunctator , le « temporisateur », indique qu’ils entendent opter pour une démarche réformiste, qui doit changer progressivement les fondements de la société capitaliste. L’un d’entre eux, Charles Besant, prêche que les riches ont le devoir de subvenir aux besoins des pauvres. Le député radical Joseph Chamberlain prône sa « doctrine de la rançon », selon laquelle les riches ne doivent être autorisés à le rester qu’à condition de financer par l’impôt de meilleures conditions de vie pour les pauvres. Au même moment, la société bourgeoise s’encanaille. Un nouveau genre de touristes participent en groupes à des visites guidées des quartiers pauvres, pour voir les taudis comme on irait au zoo.
L’air du temps n’est pas particulièrement favorable aux exploits impérialistes. Ceux qui se rappellent où se trouve le Soudan s’en lavent courageusement les mains. Gordon, en arrivant au Caire, a été nommé gouverneur du Soudan par le khédive. Gordon Pacha, vice-roi investi de tous les pouvoirs, est chargé d’une double mission. Le gouvernement britannique lui demande d’évacuer Khartoum. Le khédive d’Égypte souhaite garder la mainmise sur le Soudan. Gordon tente de s’appuyer sur les réalités du pays pour stabiliser la situation. Il
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