Victoria
de 1800 avec l’Irlande. La division du Parlement en deux chambres date de 1341 et n’a cessé de faire ses preuves depuis le temps d’Edward III. Un système à une seule assemblée n’est pas a priori une structure politique viable. Néanmoins, Gladstone balaierait bien tout cela d’un trait de plume. Il écrit à Victoria pour se plaindre de « la tendance des Lords à se séparer du peuple ».
« La Reine, lui répond-elle, remercie Mr Gladstone de sa lettre reçue ce matin. Elle est désolée de ne pouvoir partager l’opinion de Mr Gladstone sur la Chambre des lords, qui a rendu des services si importants à la Nation, et dont de nombreuses personnes considèrent en ce moment qu’elle représente le vrai sentiment du pays. La Chambre des lords n’est d’aucune manière opposée au peuple. L’existence d’une assemblée d’hommes indépendants agissant seulement pour le bien du pays, et libres de la terreur qui force tant de membres des Communes à voter contre leur conscience, est un élément de force dans l’État et une garantie de sa prospérité et de sa liberté. »
Cela dit, l’intime conviction de Victoria est que les Lords ont tort de s’opposer à la réforme électorale. Elle est elle-même favorable à une large extension du droit de vote. Un travail de médiation politique s’impose, que les libéraux et les radicaux, acculés à l’impasse par leur esprit partisan, sont incapables de mener à bien. C’est donc à la reine que cette tâche incombe.
Elle consulte Montagu Corry, Lord Rowton, ancien secrétaire particulier de Lord Beaconsfield. Évidemment, l’une des solutions qui s’offrent à Sa Majesté consisterait à user de sa prérogative pour créer de nouveaux pairs ouverts à la réforme. Victoria s’y refuse. Il ne lui reste plus qu’à jouer de son influence pour convaincre les Lords de laisser passer un texte de loi remanié par Granville. Elle ne perd pas de vue que ces difficultés sonnent peut-être le glas du gouvernement Gladstone, ce qui ne l’attriste pas particulièrement.
Cédant enfin aux exhortations de la reine et au mécontentement grandissant de l’opinion, Gladstone se résout en août 1884 à secourir Gordon. Le commandement de l’expédition est confié au général Garnet Wolseley, qui décide de remonter le cours du Nil. Il doit faire venir du Canada des voyageurs et leurs baleinières.
Fin octobre, les Canadiens rejoignent les quelque cinq mille hommes de Wolseley à Wadi Halfa. La progression s’avère difficile, il faut hisser les bateaux dans les rapides, porter ces lourdes embarcations de la Royal Navy en amont des six cataractes. Une deuxième colonne d’un millier d’hommes, avançant dans le désert avec des chameaux, est assaillie par les mahdistes à Abu Klea, puis à Abu Kru. À la fin de l’année, les voyageurs canadiens, engagés pour six mois seulement, rentrent chez eux.
Victoria suit les opérations d’aussi près qu’elle peut. Hartington s’insurge de ce qu’elle adresse des télégrammes directement à Wolseley. Voyez-vous cela !
« La Reine a toujours télégraphié directement à ses généraux, et continuera toujours de le faire, car ils accordent une grande importance à cela, et s’en soucient bien mieux que d’un simple message officiel. Elle pense que la lettre de Lord Hartington est très officieuse et très impertinente de ton. La Reine a le droit de télégraphier des félicitations ou des requêtes à quiconque et ne permet à personne de lui dicter sa conduite. Elle n’est pas une machine. Les libéraux veulent toujours le lui faire sentir, mais elle ne l’accepte pas. »
Quand enfin Wolseley approche de Khartoum, c’est pour apprendre que la ville est tombée, le 26 janvier 1885, aux mains d’une armée de cinquante mille mahdistes. Gordon et tous ses hommes ont été massacrés. En février, Londres n’en détient toujours pas la preuve. Victoria ne se fait pas d’illusions. Furieuse, elle télégraphie son indignation à Gladstone en interdisant que l’on chiffre le message, pour que tout le monde sache bien ce qu’elle pense.
« Ces nouvelles de Khartoum sont horribles, et de penser que tout cela aurait pu être évité et de nombreuses vies précieuses sauvées en agissant plus tôt est abominable. »
Du jour au lendemain, dans la presse et au music-hall, Gladstone le grand homme est traité de meurtrier de Gordon : « G. O. M. », « Grand Old Man »,
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