Victoria
veto.
En 1891 Eddy trouve enfin à se fiancer avec Mary de Teck. « May » de Teck est la fille de « Fat Mary » de Cambridge, cette cousine dont Victoria avait arrangé le mariage, en 1866, avec le prince Francis de Teck. La jeune May est charmante et ne ressemble pas du tout à sa mère. Eddy fait sa demande et May l’accepte. Les fiançailles sont annoncées.
Hélas, le 14 janvier 1892, Albert Victor meurt d’une pneumonie. À la chapelle St George de Windsor, la princesse Mary de Teck dépose une couronne de mariée en fleurs d’oranger sur le cercueil de son fiancé. Le romantisme émouvant de ces pathétiques funérailles passe. Il reste que Victoria estime beaucoup le caractère sage et modeste de la princesse May, à ses yeux plus digne qu’une autre d’endosser le rôle de future reine d’Angleterre. En 1866, la princesse Dagmar, sœur d’Alexandra, la princesse de Galles, a épousé le tsarévitch Alexandre après la mort de son frère Nicolas. Dagmar est aujourd’hui la tsarine Maria Feodorovna, depuis l’accession du tsar Alexandre III en 1881. De même, Victoria espère que May épousera un jour prochain George, le second fils de Bertie, et que plus tard elle deviendra reine d’Angleterre.
« Tout cela, dit Victoria, aurait l’air bien peu naturel et tiré par les cheveux si on le lisait dans un roman. »
C’est bien aussi l’impression que donne l’histoire récente du pays. Tandis que la grand-mère de l’Europe se préoccupe toujours de l’avenir de la monarchie, les années passent sans que rien ne change vraiment. Le gouvernement conservateur de Salisbury maintient le statu quo dans une société qui n’évolue guère. William Booth, le « général » de l’Armée du Salut, a publié un ouvrage intitulé Dans l’Angleterre la plus sombre et la voie pour en sortir . Il y préconise que les chômeurs s’organisent en groupes de fermiers et émigrent vers des pays qui offrent des opportunités de développement. En Afrique du Sud, Cecil Rhodes est devenu Premier ministre de la colonie du Cap et a fédéré les mines de diamants. Il caresse le rêve grandiose de construire une grande liaison entre Le Cap et Le Caire, qui ouvrirait l’Afrique, du nord au sud, aux intérêts britanniques. Rhodes l’audacieux est de ceux qui pensent que la destinée de la race anglo-saxonne est de dominer le monde. Quoi qu’il en soit, les richesses de l’Afrique, comme celle de l’Inde et de l’ensemble de l’Empire britannique, ne servent qu’à creuser le fossé qui sépare les riches des pauvres. Les « deux nations » contre lesquelles Dickens et Disraeli, entre autres écrivains, mettaient en garde leurs compatriotes dès la première moitié du siècle perdurent côte à côte.
Les libéraux se divisent sur la question du Home Rule. Les radicaux s’impatientent toujours. Les socialistes réformistes, comme ceux de la Société fabienne, discourent de plus belle. Les nationalistes irlandais ne sont pas très sûrs d’être tous d’accord avec Parnell. Pendant ce temps, les nationalistes indiens commencent de s’organiser. Un certain Dabadhai Naoroji, président de l’Indian national congress, a manqué de peu de remporter les élections partielles de Holborn, où il était candidat à la députation pour le parti libéral. Salisbury a suscité une polémique en laissant entendre qu’un « Noir » n’avait pas sa place sur les bancs de Westminster. Victoria lui a fait savoir qu’elle n’admet pas les préjugés raciaux. De même, elle défend bec et ongles ses serviteurs indiens contre l’ostracisme que leur infligent les autres membres de sa maison. Elle entend bien faire respecter ce qu’elle a promis dans sa proclamation du 1 er novembre 1858 aux « princes, chefs et peuples de l’Inde » : « Nous nous considérons liée envers les natifs de nos territoires indiens par les mêmes obligations et devoirs qui nous lient à tous nos autres sujets. »
Salisbury est bien loin d’avoir le talent d’un Disraeli. Son cabinet n’a pas fait grand-chose de probant, hormis un budget supplémentaire de vingt millions de livres sur quatre ans pour la Royal Navy. Il a donné bien des arguments à ses adversaires et lassé bon nombre de ses amis. Aussi les élections générales de 1892 s’annoncent-elles fort mal pour les conservateurs. Les libéraux chassent plus que jamais sur les terres des radicaux et des socialistes, avec plus ou moins de bonheur ou
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