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Victoria

Victoria

Titel: Victoria Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joanny Moulin
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de prudence. Victoria voit déjà revenir Gladstone, avec une consternation non dissimulée.
    « C’est une mauvaise plaisanterie ! » dit-elle à Ponsonby. En effet, aucune majorité absolue ne se dégage à l’issue du scrutin national. Salisbury, qui refuse de démissionner, est renversé par une motion de censure. Le parti libéral étant celui qui a recueilli le plus de voix, il se trouve en position de devoir former un gouvernement de minorité.
    Incidemment, Dabadhai Naoroji est élu député libéral de Finsbury. Premier homme de couleur à faire son entrée aux Communes, il est de confession pârsî-zoroastrienne et prête serment sur l’Avesta.
    Victoria voit bien qu’elle va être « contrainte d’avaler le dangereux vieux fanatique » Gladstone. Les maigres espoirs qu’elle avait fondés sur Lord Rosebery s’envolent.
    « Tout d’abord, écrit-elle à Ponsonby, elle doit dire combien elle a été terriblement déçue et choquée par le discours de Lord Rosebery, qui est radical au point d’être presque communisant. La pauvre Mrs Rosebery n’est plus là pour le retenir. Et le G. O. M, à 82 ans, est une perspective très alarmante . »
    Elle lui écrit néanmoins une lettre impeccablement civile, pour le prier de bien vouloir former un gouvernement. Gladstone arrive à Osborne. Sa silhouette voûtée, le regard intense de ses yeux ronds dans un visage amaigri, ses pommettes plissées d’un treillis de rides profondes, ses cheveux blancs tombant sur un col relevé par un nœud papillon, lui donnent un air de vieux hibou. Sa visible nervosité contraste avec la calme rondeur de la souveraine, tandis qu’ils s’approchent l’un de l’autre en s’appuyant lourdement sur leurs cannes.
    « Vous et moi, Mr Gladstone, sommes plus éclopés qu’autrefois. »
    L’audience ne dure guère. Victoria l’y ayant invité, Gladstone vient s’asseoir tout près d’elle sur le sofa. D’une élocution déformée par une raideur des lèvres qu’elle ne lui connaissait pas, il la prie d’excuser sa surdité. Inutile, cependant, qu’elle prenne la peine de hausser la voix, qu’elle a fort claire. Évidemment, le G. O. M. tentera de nouveau de faire adopter son Home Rule au Parlement : cela va sans dire.
    Au breakfast, où le prince et la princesse de Galles les rejoignent, sa diction de tribun sourd tranche sur les murmures aristocratiques de ses hôtes. Il donne l’impression de contenir à grand-peine une sainte colère. La nappe est brodée d’un motif régulièrement répété, représentant les emblèmes nationaux des trois royaumes que sont la rose, le chardon et le trèfle, avec la devise : «  Quis separabit ?  »

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    « Quel équipage hétéroclite ! » pense Victoria en voyant, dans le grand salon d’Osborne, le cabinet libéral au grand complet agenouillé devant elle. Ce sont pour la plupart de nouveaux ministres, peu rompus aux usages protocolaires. Au lieu de se lever pour venir lui prêter serment d’allégeance, l’un après l’autre ils se traînent à genoux jusqu’à elle pour lui baiser la main. Bien que Sa Majesté trouve le spectacle grotesque, elle s’en voudrait de laisser échapper le moindre sourire.
    La scène rappelle étrangement les « tableaux vivants » organisés régulièrement à la cour. Ces divertissements à la mode évoquent, par des saynètes immobiles, des épisodes de l’histoire ou de la littérature. Des personnes costumées prennent la pose dans un décor soigneusement élaboré. Les participants ne doivent ni bouger ni parler. Tout l’art consiste pour eux à rendre le tableau vivant par une attitude appropriée et une mine justement expressive. Dans cet exercice subtil, le manque de sentiment est ennuyeux et son excès ridicule.
    Le plaisant Alexander Yorke, groom boute-en-train et animateur à ses heures, excelle à les organiser. Après de longues semaines de préparations minutieuses, des programmes sont imprimés, qui donnent les titres des représentations et la distribution des rôles, encadrés de frises élégantes. Les altesses royales côtoient les gens de maison sous des déguisements divers. De nombreux invités se rassemblent dans un salon pour admirer une suite de panoramas, tandis qu’un orchestre joue à chaque fois un air approprié.
    Le rideau se lève, par exemple, sur « L’évanouissement d’Esther », d’après un tableau d’Horace Vernet. Le munshi Hafiz Abdul Karim a fourni des conseils

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