Victoria
William Gladstone que Sa Majesté le croit. Victoria la lui accorde et l’embrasse.
« Je suis convaincue que c’est le cas, écrit-elle le soir même dans son journal, bien que ses actes aient pu rendre cela difficile à croire. »
Sur le bateau qui les ramène de l’île de Wight vers Southampton, William raconte à Catherine son souvenir d’un voyage en Sicile, qu’il a fait en 1838 avec une mule.
« Cette bête était insensible à toute douceur, de la voix ou de la main. J’étais incapable de la moindre trace de sympathie pour cet animal, je ne pouvais ni l’aimer ni la comprendre. Eh bien, cette mule sicilienne fut pour moi ce que j’ai été pour la reine. »
La démission de Gladstone pour raisons de santé impose de lui trouver un successeur. Victoria s’est d’abord tournée vers Lord Russell. Sous-secrétaire d’État à l’Intérieur dans l’actuel gouvernement, Russell a décliné l’offre. Il a donné pour motif qu’il serait contraint de soutenir une politique qui a d’ores et déjà échoué, et qui risquerait de le mettre en conflit avec les opinions de Sa Majesté. C’est donc Lord Rosebery, premier Lord du Trésor, qui assure l’ingrate succession, à la tête d’un cabinet désormais réduit à l’impuissance. Le Home Rule se trouvant enterré pour longtemps, les ministres libéraux rouvrent le débat sur la Chambre des lords qui lui a fait obstacle.
« La Chambre des lords, écrit Victoria à Rosebery, pourrait sans doute être améliorée, mais elle fait partie intégrante de la Constitution britannique, dont les mérites sont fort vantés et admirés, et elle ne peut pas être abolie. »
En attendant que de prochaines élections fassent apparaître une majorité plus claire aux Communes, le royaume stagne dans l’apathie politique. Le Home Rule défunt cesse de passionner l’opinion. En juin, le pays est endeuillé par la catastrophe des houillères Albion à Cilfynydd, au pays de Galles, où deux cent soixante mineurs ont péri ensevelis par un coup de grisou. Deux jours plus tard, le Parlement vote ses condoléances au peuple français après l’assassinat de Sadi Carnot, président de la République.
À l’extérieur, plusieurs situations instables sont des sources d’inquiétude grandissante. En Asie, le Japon convoite les ports chinois, et Victoria souhaite que des pressions soient exercées sur Tokyo pour les en dissuader. En Afrique, des tensions naissent entre la France et la Belgique à propos du Congo. Par ailleurs, l’Allemagne voit d’un mauvais œil les menées de Cecil Rhodes, visant à faire en sorte que l’Empire britannique acquière des territoires qui lui permettraient un jour de relier Le Cap au Caire.
Comme toujours, pour Victoria, les affaires de famille se superposent à la politique. Par exemple, l’empereur d’Allemagne est aussi un petit-fils cabotin, affligé d’une passion lassante pour les distinctions honorifiques. Willy a obtenu de Bertie qu’il lui octroie le rang de colonel des dragons. Il faut maintenant que Victoria le nomme colonel en chef des First Royals, pour qu’il puisse enfin porter la célèbre tunique rouge.
À la cour, une minuscule révolution de palais se prépare. La maison de la reine se ligue contre le munshi , qui se donne une importance sans cesse grandissante. Il fait l’objet d’une campagne de presse. « Cela vient sans doute, dit Victoria, de quelques Anglo-Indiens bassement jaloux. » En réalité, certaines personnes de son entourage trouvent inquiétant que Hafiz Abdul Karim soit un nouveau John Brown bien moins innocent que l’ancien. Certaines fuites de dépêches ministérielles ne peuvent venir que de lui.
À 75 ans, Victoria fait la part des choses et n’a plus guère de patience pour ces querelles domestiques. Les événements familiaux ne continuent de la passionner que dans la mesure où ils intéressent l’avenir. Aussi retient-elle surtout que May a donné naissance au premier enfant de Georgie. Le 23 juin 1894 est né le prince Edward, premier fils du duc et de la duchesse d’York. La succession au trône du Royaume-Uni est désormais assurée sur trois générations.
« C’est un grand plaisir et une grande satisfaction, écrit-elle à Vicky, mais pas si merveilleux que cela, car si Alicky n’avait pas refusé d’épouser Eddy en 1889, j’aurais pu avoir un arrière-petit-enfant il y a quatre ans déjà. Quoi qu’il en soit, cependant, c’est
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