Victoria
de l’appeler Albert. Victoria choisit de voir dans cette date de naissance, qui paraît venir racheter celle d’une disparition, un signe de la Providence.
« J’ai le sentiment que ce pourrait être une bénédiction pour le cher petit, et que cela pourrait être considéré comme un don de Dieu ! »
Au même moment, un deuxième foyer de guerre s’embrase en Afrique. La volonté divine d’apporter aux Africains le salut de la religion protestante et de la civilisation anglo-saxonne n’est peut-être pas seule en cause. Victoria a rencontré à deux reprises Cecil Rhodes, qui lui a exposé son projet d’acquérir pour l’Empire britannique des territoires qui lui ouvriraient une voie entre Le Cap et Le Caire. La reine voit davantage en Rhodes un homme d’affaires talentueux qu’un intrigant politique ambitieux.
En 1894, il a obtenu pour la British South Africa Company, dont il est le président, une « charte royale » pour annexer les terres du Matebeleland, entre le fleuve Limpopo et le lac Tanganyika. En 1895, il s’est rendu maître de la Rhodésie du Nord (Zambie) et de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe), de part et d’autre du Zambèze.
Entre la Rhodésie et la colonie britannique du Cap, la république du Transvaal paraît bien provisoire. Ce pays de fermiers boers suscite un regain d’intérêt depuis qu’en 1886 des prospecteurs y ont trouvé d’importants gisements d’or. Des orpailleurs britanniques l’investissent massivement depuis une dizaine d’années. Les Boers, mécontents, ne font pas bon accueil à ces uitlanders et leur refusent les droits civiques. Rhodes pense pouvoir aisément renverser la République du Transvaal et son président Paul Kruger. Le 29 décembre 1895, son ami Leander Jameson lance un raid contre le Transvaal avec une armée d’aventuriers. Le coup, mal préparé, se solde par un échec. Rhodes est contraint de démissionner de ses fonctions de Premier ministre du Cap.
En janvier 1896, tandis que la France républicaine chante la gloire de la République du Transvaal, la presse allemande « crache son venin ». L’empereur Guillaume envoie personnellement un télégramme de félicitations au président Kruger. L’opinion britannique, bien qu’elle ne puisse pas décemment reprocher quoi que ce soit à Kruger, se cabre contre le Kaiser. Victoria est extrêmement fâchée contre Willy.
« À l’empereur d’Allemagne. En tant que ta grand-mère à qui tu as toujours montré tant d’affection, et dont tu as toujours cité l’exemple avec tant de respect, je sens que je ne peux pas faire autrement que d’exprimer mon profond regret pour le télégramme que tu as envoyé au président Kruger. Ce geste est considéré comme très inamical envers notre pays, ce qui, j’en suis sûre, n’est pas intentionnel, et, je suis chagrinée de le dire, a fait une très pénible impression ici. L’action du Dr Jameson était, bien entendu, très répréhensible et totalement injustifiée. Toutefois, étant donné la position très particulière du Transvaal vis-à-vis de la Grande-Bretagne, je pense qu’il aurait beaucoup mieux valu ne rien dire. »
En Côte d’Or, les Britanniques ont écrasé les Asantes et établissent un protectorat sur le pays. Néanmoins, Victoria découvre avec horreur le nombre impressionnant de morts et de blessés. Son inquiétude s’accroît quand elle apprend que le prince Henry de Battenberg est gravement atteint de la malaria. Le 20 janvier, Liko meurt, quelque part au large de la Sierra Leone. Son corps est rapatrié vers l’Angleterre dans un tonneau de rhum, jusqu’à l’île de Wight dont il fut gouverneur, et au cimetière qui jouxte la petite église de Whippingham où il a épousé Béatrice onze ans auparavant.
Le Grand Hôtel de Cimiez prend des airs d’hospice, avec ses médecins et ses infirmières. Le Dr Reid ausculte Sa Majesté tous les jours à 9 h 30, sans que jamais elle se dévête. Béatrice, résignée, l’a rejointe dans le veuvage. Chaque jour, elle lit à haute voix les documents que les yeux de Victoria ne voient plus. Viennent d’abord les dépêches des boîtes ministérielles, puis la correspondance familiale, et enfin tout un monceau de courriers divers et souvent farfelus. Des écrivains lui envoient leurs ouvrages, des inventeurs sollicitent des subsides. De prétendues œuvres de charité quémandent ses vieux vêtements, des philatélistes ambitieux ses timbres.
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