Victoria
apparemment la première fois dans ce pays qu’une souveraine a trois héritiers directs de son vivant. »
Pendant l’été 1894, Victoria reçoit la visite de sa petite-fille Alicky. Elle est venue lui présenter son fiancé, le tsarévitch Nicolas, fils aîné du tsar Alexandre III et de Maria Feodorovna, née princesse Dagmar du Danemark, sœur d’Alexandra, la princesse de Galles.
Alicky et Nicolas sont sincèrement amoureux, ce qui pour Victoria justifie incontestablement qu’Alicky ait refusé d’épouser Eddy. C’est un amour d’adolescence, une union romantique d’âmes sœurs. Ils se sont rencontrés en 1884, à l’occasion du mariage d’Ella, la princesse Elizabeth, sœur d’Alicky, avec le grand-duc Serge de Russie, frère du tsar Alexandre III. Depuis lors, Nicolas plaide en faveur d’Alix, contre l’avis de ses parents, qui préféreraient Hélène d’Orléans, fille du prince Philippe, comte de Paris. L’héritier du trône de France ne fait guère meilleur accueil à ce parti qu’autrefois à celui du prince Albert Victor de Galles, au motif qu’Hélène devrait, là encore, abandonner la religion catholique.
Une autre raison, moins diplomatiquement avouable, est que le pouvoir des tsars de Russie paraît bien instable, dans un pays où la violence politique est effrayante. D’ailleurs, la reine s’en émeut. En octobre 1894, elle fait part de son inquiétude à sa petite-fille la princesse Victoria, sœur aînée d’Alix.
« Toutes mes peurs quant à son prochain mariage m’assaillent maintenant si fort que mon sang se fige quand je pense à elle, si jeune, probablement à la veille de monter sur ce trône très peu sûr, sa chère vie et surtout celle de son mari constamment menacées, et ne pouvant la voir que rarement. C’est une grande anxiété de plus sur mes dernières années ! Oh ! Comme je voudrais qu’il me soit épargné de perdre ma douce Alicky. Tout ce que je demande le plus ardemment désormais est que rien ne soit décidé pour son avenir sans que je sois consultée auparavant. Elle n’a pas de parents, je suis sa seule aïeule, et j’ai le sentiment d’avoir mon mot à dire en ce qui la concerne ! Elle est comme ma propre enfant, comme vous tous êtes mes chers enfants, mais elle et lui sont des orphelins. »
Le 1 er novembre 1894, l’Histoire confirme tragiquement ses craintes par le décès d’Alexandre III, en réunissant les amants sur le trône des Romanov. Le nouveau tsar Nicolas II épouse la princesse Alix de Hesse-Darmstadt. Alicky, convertie à la religion orthodoxe, devient impératrice de Russie sous le nom d’Alexandra Feodorovna Romanova.
62
Victoria, qui n’a jamais apprécié la vie mondaine, laisse au prince de Galles ce qu’elle considère comme des frivolités superflues et répréhensibles. L’austérité de son existence, plus affichée que réelle, lui vaut d’être une souveraine populaire. Par contraste, les vacances de la reine d’Angleterre suivent et stimulent l’attrait de la haute société européenne pour des lieux de villégiature internationaux. Elle fréquente tour à tour Florence, Aix-les-Bains ou Biarritz. Sur la Côte d’Azur, elle descend volontiers à Hyères, à Grasse ou à Nice.
Par exemple, au printemps 1895, Sa Majesté a loué pour cinq semaines la totalité du Grand Hôtel de Cimiez, un établissement en réalité de taille assez modeste. Elle y loge ses ministres en résidence, ses secrétaires particuliers, toute sa suite et ses gens de maison. En plus des boîtes rouges contenant les dépêches ministérielles, la reine amène avec elle son propre mobilier, le linge de table et les couverts, sans oublier sa voiture avec ses poneys, ses nombreux chiens, son nécessaire d’aquarelle, et autres commodités essentielles. En échange de la manne financière qu’elle amène, la municipalité accepte de refaire les routes comme elle le souhaite. Sans toutefois lui demander son avis, on construit aussi un tramway électrique, pour convoyer de Nice les contingents de touristes attirés par sa royale présence comme phalènes au phare.
Sa Majesté importe également les saucisses, le bacon, la marmelade et le thé, ingrédients aussi indispensables au véritable breakfast anglais qu’introuvables en France. Pour les autres repas, son chef français, M. Ferry, lui mijote sa soupe favorite, le velouté de volaille, mais aussi des potages à la crème de riz, filets de sole et
Weitere Kostenlose Bücher