Victoria
enverront », poursuit Melbourne, feignant hypocritement de ne pas avoir la moindre idée de qui est le chef du parti conservateur.
« Il est si dur de se voir imposer des personnes que l’on n’aime pas.
— C’est très dur, mais c’est inévitable. »
Elle fait un effort pour changer de conversation et contenir le tremblement de ses lèvres. Lord Melbourne va sortir de cette pièce. Elle ne le reverra peut-être pas avant longtemps.
« Je ne sors pas, dit-elle, et je souhaite que vous reveniez me voir.
— Oui, Ma’am , je le ferai. »
Après un moment de réflexion, il se ravise. Voilà qui serait tout à fait contraire à la Constitution et aux usages.
« Je ne pense pas, dit-il, que ce serait convenable. Cela pourrait m’être reproché.
— Je vous en prie, venez après dîner.
— Je crains que ce ne soit pas possible, Ma’am , je suis invité à dîner chez Lady Holland.
— Mais il faut que vous veniez me voir.
— Oh oui, seulement, pas pendant que ces négociations se poursuivent. »
Melbourne vit un dilemme romantique, tiraillé qu’il est entre son sens de la politique et le sentiment chevaleresque de devoir voler au secours de sa jeune reine qui l’en supplie.
« Mais je vais me sentir tout à fait abandonnée ! » s’exclame-t-elle avec une ingénuité de petite fille éperdue. À ces mots, Melbourne fond en larmes. « Dieu vous bénisse, Ma’am », dit-il en posant un genou au sol pour lui baiser la main.
Le lendemain, Melbourne revient. Elle garde sa main dans la sienne, se berçant de l’illusion qu’ainsi il ne pourra pas la quitter. Il le faut pourtant. Elle pleure amèrement. N’y tenant plus, elle lui écrit.
« La reine se risque à maintenir une chose, qu’elle pense possible, et c’est que, si elle sortait à cheval demain après-midi, elle pourrait apercevoir Lord Melbourne dans le parc. S’il savait où elle ira, elle le rencontrerait et ce serait un tel réconfort. Sûrement il ne peut pas y avoir de mal à cela, car je peux rencontrer tout le monde. Lord Melbourne trouvera peut-être cela puéril, mais la reine est réellement si désireuse qu’il en soit ainsi, et elle supporterait toutes ses épreuves tellement mieux si elle pouvait voir un visage ami de temps à autre. »
Plusieurs fois par jour, Victoria écrit à Melbourne pour le tenir au courant de ses états d’âme. Elle lui communique aussi les moindres détails de ses entretiens avec les tories pour former un nouveau cabinet ministériel.
Elle fait d’abord appel au duc de Wellington. Il décline poliment son offre, arguant qu’il n’a absolument aucune influence à la Chambre des communes. « Si je leur disais que noir, c’est noir, ils me diraient que ce n’est pas vrai. » Non, décidément, l’homme à qui Sa Majesté devrait plutôt demander cela est Sir Robert Peel. Le duc ne souhaite pas davantage accepter un portefeuille ministériel. Son grand âge et sa surdité font qu’il espère qu’on ne fera pas appel à lui. Sur la question des dames de compagnie, il ne se prononce pas. Il conseille à la reine de ne pas commencer son entrevue avec Sir Robert en imposant des conditions de cet ordre. Sa Majesté peut, certes, continuer d’entretenir des relations amicales avec Lord Melbourne. Le duc escompte toutefois qu’elle ne s’en servira pas pour affaiblir la position du nouveau gouvernement.
Sir Robert Peel est un homme d’un naturel réservé, qui n’a pas la parole facile. Héritier d’un des plus riches magnats de l’industrie textile du Lancashire, il n’a pas les manières aristocratiques d’un Melbourne. Autrefois ministre de l’Intérieur de Lord Liverpool, il a démissionné après que celui-ci, souffrant, a cédé la place en 1827 à George Canning, favorable à l’émancipation des catholiques. Prédécesseur de Lord Melbourne aux affaires pour un bref mandat en 1835, il s’est consacré depuis lors à ramener au pouvoir le parti conservateur, dont il est la figure la plus importante après le duc de Wellington. C’est un homme froid, excessivement prudent. Il a une étrange manière de se dandiner, un peu comme un maître de danse, et d’avancer la pointe de son soulier. « Votre Majesté, dit-il, ne me fera sans doute pas la même confiance qu’à Lord Melbourne. Arriver au gouvernement avec une minorité à la Chambre est une situation très ardue. Tant et si bien que j’ose espérer que Votre Majesté offrira quelques
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