Victoria
déteste tant chez les autres ; ce n’est pas bien, c’est impoli.
— Le silence est une bonne chose, si vous n’avez rien à dire. »
Melbourne lui-même est très souvent distrait. Elle le surprend parfois, perdu dans ses pensées, fronçant les sourcils d’horrible manière. Dès qu’elle lui adresse de nouveau la parole, il sursaute et se frotte le front en se forçant à sourire.
« Je suis très absent, parfois, notoirement absent, particulièrement quand j’ai beaucoup à faire. »
Quand la conversation le passionne, il parle avec beaucoup d’excitation, en tirant sur ses cheveux. Elle le trouve tellement plus beau ainsi, tout ébouriffé comme un poète romantique. D’autres fois encore, il s’assoupit pour de bon au salon. Cela exaspère Victoria. Comment peut-il dormir de la sorte, devant tout le monde ? Pis : il ronfle. Cela l’amuse, mais elle le lui fait remarquer. Lord Melbourne serait-il souffrant ?
« Juste un peu de sommeil. Ce n’est pas un signe de mauvaise santé. C’est une bonne chose que de faire un somme après le dîner. Nous devrions tous nous allonger dans cette pièce et dormir. »
Victoria rit de bonne grâce, montrant ses dents blanches et ses gencives roses. Ce cher Lord Melbourne est décidément adorable.
Au nombre des tracas du moment, la santé de Lady Flora Hastings se dégrade. Les rumeurs moqueuses font place aux regrets d’avoir manqué de générosité, à la crainte de s’être trompé sur la réalité de son état.
« Comme vous le dites, Ma’am , confirme Melbourne à la reine, ce serait très embarrassant si cette femme allait mourir. »
Victoria lui rend visite, seule. Lady Flora est étendue sur un sofa. Elle est d’une maigreur squelettique, son ventre est enflé comme celui d’une femme enceinte. Son teint est jaune, ses yeux au fond des orbites dardent un regard inquiet.
« Je vous suis très reconnaissante, dit Victoria, de tout ce que vous avez fait pour moi. Je suis contente de vous voir en si bonne santé. » Puis : « J’espère vous revoir quand vous irez mieux. »
La mourante ne répond pas, mais lui serre les mains avec une force surprenante.
Lady Flora, soucieuse de défendre sa réputation et de préserver son honneur, a publié dans le Morning Chronicle sa correspondance personnelle avec Lord Melbourne. Cette fâcheuse affaire étant une conséquence de la mauvaise entente de la reine avec sa mère, cela aussi contribue à faire perdre à Victoria le bénéfice de la ferveur populaire unanime dont elle était l’objet au moment de son couronnement.
Le président de la Chambre des communes, Mr. Abercrombie, a écrit à Sir John Conroy, qu’il continue de compter au nombre de ses amis. Il est parvenu à le persuader que sa présence dans l’intimité de Mme de Kent est vraisemblablement la cause principale des relations difficiles entre la reine et sa mère. C’est une affaire, dit Abercrombie, qui concerne la « sécurité du trône ». Par ailleurs, Conroy subit la pression des Cobourg qui, au sein même de la maison de la duchesse, se plaignent de ses insolences. Il se résout enfin, en mai 1839, à quitter sa place auprès de Mme de Kent, en renonçant aux distinctions qu’il exigeait. Le duc de Wellington, toutefois, prétend qu’il part avec « beaucoup de biscuits ».
Depuis quelques jours, dit-on, Lady Flora semble aller beaucoup mieux. Victoria s’est rendue à l’Opéra et recommence à sortir davantage. On la voit dans les faubourgs de Londres sur son cheval blanc nommé Comus parce que ses rondeurs évoquent le dieu de la bonne chère. Lord Melbourne l’accompagne, un groupe de gentilshommes de la maison royale les suivent à distance. Ils remontent Regent’s Street et Portland Place, pour aller galoper à Hampstead, jusqu’à Richmond Park. Ces longues promenades de plusieurs heures, loin des oreilles indiscrètes, sont l’occasion de conversations d’un ordre plus privé.
« Toute cette excitation m’a fait du bien, dit-elle, revenant sur l’escarmouche avec les tories et la visite du tsarévitch.
— Vous menez une vie assez peu naturelle pour une jeune personne, lui dit-il, c’est une vie d’homme.
— J’en ai parfois le sentiment, en effet. »
Rassemblant son courage, Victoria évoque de nouveau cette « alternative choquante » d’avoir à envisager de se marier pour échapper tout à fait à la vigilance de sa mère.
« Le grand souhait de
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