Victoria
mon oncle Léopold est… était… que j’épouse mon cousin Albert… qui était avec Stockmar… Stockmar vous en a certainement parlé…
— Non, Stockmar ne m’en a jamais dit le moindre mot.
— Mais j’ai prévenu mon oncle que je ne pourrais rien décider sans l’avoir revu.
— Cela va de soi. Et qu’en pense la duchesse ?
— Ne vous inquiétez pas pour cela. »
Elle regarde ses chiens, qui détalent en avant et reviennent la tête haute, espérant une cavalcade.
« Les mariages entre cousins ne sont pas une très bonne chose, reprend le Premier ministre. Par ailleurs, ces Cobourg ne sont pas très populaires en dehors de chez eux. Les Russes les détestent.
— Qui d’autre alors ? »
Melbourne énumère divers princes étrangers, mais Victoria n’en voit aucun qui puisse convenir.
« En ce qui me concerne, dit-elle, pour l’instant mon sentiment est que je préfère de beaucoup ne jamais me marier.
— Je ne sais pas… Il est vrai que c’est un grand changement de situation. C’est une question très grave, parce qu’elle concerne à la fois les affaires politiques et votre propre bonheur.
— Albert est plus jeune que moi, mais c’est un jeune homme tout à fait charmant et fort bien éduqué. J’ai beaucoup apprécié sa compagnie. Son père, mon oncle Ernest, me presse d’accepter.
— S’il fallait décrire l’homme idéal, ce serait bien difficile. En tout cas, il ne doit être ni stupide, ni sournois.
— Dans ce cas, si j’en juge par tout ce que j’ai entendu dire, Albert conviendrait exactement.
— Je pense qu’il y aurait bon espoir. Mais, tout de même, je ne pense pas qu’un étranger serait très populaire.
— Certes, mais épouser un sujet revient à se placer sur un pied d’égalité avec eux, et vous met tellement en contact avec toute la famille.
— Je vous l’accorde, je ne pense pas que ce serait apprécié. Il y aurait tant de jalousie…
— Mais qu’ai-je besoin de me marier avant trois ou quatre ans ? En voyez-vous la nécessité ? Je redoute l’idée du mariage. J’ai tellement l’habitude d’être obéie que je parie, à 10 contre 1, que je ne m’entendrais avec personne.
— Oh ! Vous vous feriez obéir quand même… »
Victoria éclate de rire et part au triple galop.
Ses occasions de se divertir sont à ses yeux trop peu nombreuses. Victoria souffre du mal du siècle. Elle lutte contre l’ennui comme elle peut. L’une de ses distractions favorites est d’imiter le comportement ou l’écriture des personnes de son entourage. Melbourne en sourit : cela montre de la vivacité d’esprit, et c’est un trait de famille. Car son oncle, le roi George IV, n’avait pas son pareil pour les imitations. Il adorait aussi manger, mais alors il dévorait, dans des proportions incomparables, comme en témoignait sa très forte obésité.
Melbourne évoque pour Victoria des traits amusants des personnalités qu’il a connues. William Pitt, par exemple, était un homme grand et mince, avec un visage rouge, qui buvait énormément, comme d’ailleurs son adversaire Charles Fox, et ils sont morts la même année.
Il brosse un portrait saisissant de la reine Caroline, l’épouse de George IV. C’était une femme fort laide, mais surtout très sale, qui ne lavait jamais ni son corps ni ses vêtements. Grossière, colérique et déplaisante, la « reine immorale » vivait à l’écart de la cour. Elle avait donné à George sa seule enfant légitime, la princesse Charlotte, qui fut la première épouse de Léopold. Lorsque George avait été nommé régent, la folie de son père George III le rendant incapable de gouverner, il avait pris des mesures pour soustraire Charlotte à l’influence de Caroline. De là venaient peut-être les craintes de la duchesse de Kent qu’il ne veuille en faire autant pour Victoria. Quoi qu’il en soit, Caroline avait quitté le pays pour mener en Europe une vie dissolue, au point de faire l’objet d’une multitude de ragots. L’accession de George IV l’avait encore davantage isolée ; elle était revenue faire un scandale et se poser en victime, devenant pour un temps une figure de l’opposition et du mouvement pour la réforme.
Melbourne ne tarit pas d’histoires et d’anecdotes peu flatteuses sur certains membres de la famille royale. Les fils de George III, ceux que Victoria appelle ses « méchants oncles », portent une lourde responsabilité dans
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