Victoria
jeu subtil de nomination du gouvernement en fonction de la majorité à la Chambre des communes. C’est le principe même de la monarchie parlementaire, établi depuis la révolution de 1688, qui est de fait mis en cause. Si peut-être elle était jusqu’à présent trop jeune pour le comprendre, c’est une leçon que la rue lui impose d’apprendre sur-le-champ.
« Mrs Melbourne ! »
Elle est copieusement sifflée à chacune de ses sorties à cheval avec Melbourne ou quelque autre ministre whig.
Il est urgent qu’elle envoie un signe pour montrer qu’elle comprend vite ce qui lui est bien expliqué. Aussi se dépêche-t-elle de nommer Lady Sandwich, épouse d’un lord tory, à un poste de dame de compagnie opportunément libéré par le départ à la retraite de Lady Breadalbane.
Malgré tout, il est jugé plus prudent qu’elle suspende ses excursions pour un temps.
« Si j’étais une personne privée, je quitterais le pays immédiatement, tant je suis dégoûtée par la perpétuelle opposition. »
16
Le monde paraît tout à coup plus complexe. Victoria se débattait dans des problèmes domestiques, dont même le changement éventuel de Premier ministre semblait relever. Les événements que la mort de Lady Flora a précipités s’étaient lentement tissés autour d’elle. Ses attitudes, les paroles, les actions qui ont été les siennes, celles encore qui auraient dû l’être, se dénouent soudain en catastrophe. Leurs conséquences s’étendent bien au-delà de son existence personnelle. Peut-elle d’ailleurs avoir, à proprement parler, une vie privée ?
Melbourne a raison de lui dire qu’elle ne doit même pas douter d’être à la hauteur de sa tâche. Elle ne peut pas se le permettre, puisqu’elle n’a pas le choix. Elle a tant à faire pour tenter d’apprendre au plus vite son métier de reine. Dans de telles circonstances, la perspective d’un mariage lui paraît tout à fait hors de question, en tout état de cause avant plusieurs années.
« Je n’ai guère envie de voir Albert. Toute cette question est odieuse. »
Il n’est certes pas convenable de faire attendre ce jeune homme indéfiniment, mais l’idée de le revoir lui est très désagréable. Elle le sait, la pression de l’entourage et le charme d’Albert feront qu’il lui sera bien difficile de refuser.
Léopold est à Paris. Elle lui écrit par courrier, et non par la poste, pour prévenir le plus possible toute indiscrétion éventuelle, en soulignant comme à son habitude les mots sur lesquels elle insiste.
« Premièrement, je souhaite savoir si Albert est au courant de votre souhait, qui est aussi celui de son père, me concernant. Deuxièmement, s’il sait qu’il n’y a pas d’engagement entre nous. Je tiens beaucoup à ce que vous informiez oncle Ernest que même s’il se trouvait que j’apprécie Albert, je ne peux faire de promesse définitive cette année. Car, vraiment au plus tôt, un tel événement ne pourrait pas avoir lieu avant deux ou trois ans. On ne peut jamais répondre à l’avance des sentiments, et il se peut que je n’aie pas pour lui le sentiment requis pour assurer le bonheur. Il se peut que je l’aime comme un ami, un frère ou un cousin. Quand bien même ce serait le cas (mais c’est improbable), je tiens beaucoup à ce qu’il soit bien entendu que l’on ne peut pas me reprocher de manquer à quelque promesse que ce soit, car je n’en ai jamais fait aucune . »
Au temps de son enfance, quand elle admirait le Roi-Soleil, elle a rêvé qu’une reine d’Angleterre pouvait faire de grandes choses si elle le voulait. Aujourd’hui, elle se désole de constater qu’elle n’a guère plus de maîtrise de sa propre existence qu’elle ne peut exercer de pouvoir réel sur le pays. Il lui faudrait la force d’âme d’une Elizabeth pour demeurer célibataire. Par contre, le mariage lui permettrait d’échapper à l’influence de sa mère, comme au reproche de suivre aveuglément son Premier ministre. Encore n’a-t-elle pas véritablement d’autre possibilité que d’accepter le parti que lui propose Léopold.
Quant à son rôle politique, la marge de manœuvre, là, est bien mince. Sa première action a été de faire obstacle au retour des tories aux affaires. Sa propre popularité en pâtit, et les conservateurs ne sont pas les seuls à lui en faire grief. Pour autant, si elle a pu craindre que Peel et Wellington ne veuillent la traiter comme une enfant,
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