Victoria
Melbourne ne fait pas autre chose. Il lui donne des leçons, mais elle-même n’a aucune influence sur la politique de son gouvernement. Lorsqu’elle a essayé de l’inciter à agir en faveur des plus humbles, ce fut peine perdue. Pourtant, les événements actuels montrent assez l’urgence de ces questions-là.
À la mi-juillet 1839, de violentes émeutes éclatent à Birmingham. Des boutiques sont pillées, des maisons incendiées. Les pompiers qui tentent d’éteindre le feu sont agressés. Les troupes envoyées de Londres en renfort sont sérieusement malmenées. Le mouvement chartiste fait régner dans le pays la crainte d’un soulèvement révolutionnaire.
La Charte du peuple, liste de revendications publiée en 1838, établit un programme en six points. Les chartistes demandent le suffrage universel masculin, le scrutin secret, des circonscriptions équitables, l’abrogation de l’obligation d’être propriétaire pour voter, une indemnisation parlementaire pour permettre aux députés ouvriers de siéger, des élections législatives annuelles pour mettre un frein à la corruption.
Soutenus par un certain nombre de membres des Communes, ils s’appuient sur une adhésion large et croissante des classes populaires. Né de la déception occasionnée par la loi de réforme de 1832, ce mouvement s’efforce de se donner une organisation nationale. Il compte au nombre de ses meneurs John Frost, Henry Vincent ou William Lovett, bientôt rejoints par l’agitateur irlandais Fergus O’Connor.
Les chartistes songent à des moyens de paralyser le système capitaliste. Par l’intermédiaire des syndicats, ils contribuent à fédérer les ouvriers pour exiger de meilleurs salaires, brûlant quelques usines, cassant quelques machines. Ils invitent leurs sympathisants à retirer simultanément leurs économies des banques d’épargne pendant un « mois sacré » qui doit faire l’effet d’une grève générale.
Un congrès national, réuni à Londres depuis le mois de février 1939, a remis au Parlement une gigantesque pétition de plus d’un million de signatures, collectées au cours de cinq cents meetings – il a fallu douze hommes pour la porter. Cette démarche s’étant soldée par un parfait fiasco, la conférence s’est déplacée à Birmingham, où le mouvement s’exaspère. Les chartistes partisans de la « force physique » débordent ceux qui prônent l’emploi de la « force morale ». L’incertitude demeure quant à leur capacité de déclencher dans le pays une insurrection générale. Après l’arrestation des meneurs, l’agitation retombe. La crainte qu’ils n’incendient Londres s’estompe.
Le 30 août 1839, plus de quatre mille personnes sont rassemblées dans un grand pré marécageux entouré de collines, au nord de l’Ayrshire, près de Kilwinning, sur la côte ouest de l’Écosse. Tout le monde, ou presque, porte des costumes médiévaux. Sous la pluie battante, qui traverse les pourpoints, délave les surcots et engloutit les poulaines, quelques anachroniques parapluies sont déployés. Comme la toile de fond d’un décor, sur un ciel qui se lézarde d’éclairs par intermittence, s’élève le château d’Eglinton. La construction de cet ouvrage néogothique s’est achevée dans les premières années du siècle. Ses tours et courtines crénelées entourent un imposant donjon central où flotte une oriflamme.
À mi-distance, un pont de même style orné enjambe la petite rivière Lugton. Un long défilé de chevaliers et de dames s’étire tout au long du chemin d’accès encombré. Sur un côté des lices, la reine de beauté, Lady Seymour, épouse du duc de Somerset, est protégée du déluge par un dais. Des paladins en armures, sur des palefrois caparaçonnés, se livrent des joutes avec une franche violence. Ils sont couverts de boue, leurs panaches collés par la pluie, et leurs destriers soulèvent des gerbes d’eau.
Pendant près de deux années, Archibald Montgomerie, 13 e comte d’Eglinton, a préparé à grands frais ce tournoi. L’atrabilaire climat écossais caricature cette manifestation du renouveau médiéval, dont la mode aristocratique doit beaucoup aux romans de Walter Scott. Ce romantisme-là est une passion des plus sérieuses. Les concurrents se sont longtemps entraînés. Les parades et danses costumées ont été minutieusement répétées à St John’s Wood, dans les faubourgs de Londres. La construction
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