Victoria
d’une ligne de chemin de fer a été hâtée pour l’occasion.
Les équipements sont aussi authentiques que les combats. Certains se sont fait tailler des armures sur mesure, d’autres en ont emprunté de très anciennes au musée de la Tour de Londres. Non sans étonnement, on a constaté que la morphologie des hommes du XIX e siècle est assez différente de celle de leurs lointains aïeux. Il a fallu élargir plastrons, braconnières et cottes de mailles, allonger cuissards, jambières et solerets.
Le tournoi d’Eglinton rassemble la fine fleur des jeunes gens que l’air du temps grise d’esprit chevaleresque. Le vicomte Alford en chevalier du Lion noir peut y rencontrer, entre autres, l’Honorable Edward Jerningham en chevalier du Cygne, ou Charles Lamb en chevalier de la Rose blanche. C’est aussi l’occasion pour ces Britanniques au noble cœur de briser des lances généreuses avec des gentilshommes d’Europe continentale. Le comte de Lubetzki est venu de Pologne, le comte de Persigny, de France. Le prince Louis-Napoléon Bonaparte, inlassable voyageur depuis que sa hasardeuse tentative de soulever un régiment à Strasbourg, en 1836, a échoué, a fait le déplacement de Londres, où il cultive désormais son anglophilie.
La pluie qui gâche la fête apporte de l’eau au moulin de la satire. Dans la presse fleurissent caricatures et articles tournant l’événement en dérision. Les whigs, radicaux, chartistes et socialistes, tous ceux qui appellent de leurs vœux de réelles réformes sociales, se gaussent et se drapent dans une juste indignation devant cet amusement ridicule et coûteux. Dans un pays où la masse des ouvriers et des paysans n’a pas seulement de quoi manger à sa faim, ce genre de divertissement fait l’effet d’une provocation. Sans doute est-ce précisément l’effet recherché. Au Royaume-Uni, comme dans toute l’Europe, les forces démocratiques s’organisent. Le dragon Révolution, qu’à Waterloo l’on avait cru occis, reprend son vol menaçant. L’idéologie réactionnaire cherche dans un Moyen Âge de pacotille des rêves qui la sustentent.
« Ne m’aidez pas, merci ! J’ai l’habitude de cela », dit Victoria de sa petite voix d’argent, en descendant la coupée à flanc de navire comme n’importe quel vieux bosco, sous les vivats appréciateurs des marins.
En ces premiers jours de septembre 1839, Sa Majesté est venue à Woolwich, faubourg sud de Londres où, depuis le XV e siècle, se trouve le Royal Arsenal, sur les berges de la Tamise. Elle est montée à bord pour prendre congé de ses invités : le prince Ernest de Saxe-Cobourg-et-Gotha, père d’Albert, lui a rendu visite en compagnie de son frère Ferdinand, père du roi du Portugal, qu’elle avait rencontré au temps de son mariage avec la reine Maria.
Les princes Ernest et Ferdinand ne sont pas sitôt partis que Victoria accueille Léopold et la reine Louise. La présence de sa tante est toujours pour elle un plaisir. L’animation des réceptions a un effet bénéfique sur son humeur. Léopold a tenu à venir en personne régler les derniers détails du séjour de son neveu à la cour d’Angleterre. Victoria a donné son accord pour recevoir Albert et Ernest au mois d’octobre.
Depuis leur première rencontre en 1836, plus d’un an avant l’accession de Victoria, Albert s’est employé à parfaire sa formation. Il avait été éduqué jusqu’alors dans son château natal de Rosenau, avec son frère aîné Ernest, par leur précepteur Christoph Florschütz. Il a ensuite reçu l’enseignement, à Bruxelles, d’Adolphe Quételet, astronome et mathématicien célèbre pour ses applications des statistiques aux sciences sociales. À Bonn, il a entendu, entre autres cours, ceux du philosophe Immanuel Fichte et du poète Auguste Schlegel.
Albert a été élevé depuis l’enfance pour devenir l’époux de Victoria. Peut-être même y fut-il destiné dès avant sa naissance. Pour son oncle Léopold, plus encore que pour son père Ernest, Albert est le parangon des Saxe-Cobourg-et-Gotha, dont l’ambition familiale est de fournir aux diverses monarchies d’Europe des princes éclairés. Albert est un excellent élève. Des dispositions intellectuelles très nettement supérieures à la moyenne, un caractère épris de rectitude et de désir de bien faire, une solide volonté le portent à aimer l’étude. Tous les matins, à 5 heures précises, il allume sa petite lampe
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