Victoria
cette chère Daisy. Tout ne va-t-il pas mieux depuis que Maman ne réside plus à Buckingham ? Sûrement, Albert ne s’opposera pas à ce qu’elle la rencontre de temps en temps, pour parler.
Le lendemain, sans avoir revu Albert, elle écrit de nouveau à Stockmar.
« Il y a souvent en moi une irritabilité. Notre position est très différente de celle des autres couples mariés. Albert est dans ma maison, et non pas moi dans la sienne. Mais je suis prête à me soumettre à ses souhaits parce que je l’aime si chèrement. »
Elle s’en va frapper à la porte d’Albert.
« Qui est-ce ? demande-t-il.
— La reine. »
Albert ne répond pas. Elle recommence.
« Qui est-ce ?
— La reine ! »
Le silence est pesant, embarrassant. Victoria regarde le corridor vide. Elle frappe encore.
« Qui est-ce ?
— Ta femme.
— Oh... Entre ! »
Le 25 janvier 1842, à la chapelle St George de Windsor, Albert Edward, prince de Galles, est baptisé par l’archevêque de Cantorbéry, avec de l’eau tout spécialement apportée du Jourdain. Ses parrains sont le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, le duc de Cambridge et le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg. Ses marraines sont les duchesses de Saxe-Cobourg et de Saxe-Gotha, représentées respectivement par Mmes de Kent et de Cambridge, et la princesse Sophie, représentée par la princesse Augusta de Cambridge.
Frédéric-Guillaume IV a été choisi parce qu’il est le souverain du principal État protestant d’Europe continentale : certains veulent y lire des signes politiques. Dans son propre pays, d’autres craignent qu’il ne prenne argument de sa présence en Grande-Bretagne pour mettre en œuvre une réforme de l’Église prussienne sur le modèle anglican qu’il admire.
Le « Roi romantique » apprécie simplement le faste de la réception. Le très médiéval château de Windsor parle à son imagination. Il danse le quadrille avec Victoria, dans la salle Waterloo, sous le regard impassible d’un portrait en pied de son père Frédéric-Guillaume III.
Il prolonge sa visite pour assister à l’ouverture de la session parlementaire à Westminster. Victoria, immobile sur le trône, dans son écarlate manteau bordé d’hermine, attend les membres des Communes. De la grave sérénité de son visage émane une digne majesté. Quand enfin elle prononce le discours qu’a rédigé pour elle son Premier ministre, sa voix d’argent résonne durablement. Cette petite femme parle de la guerre et de la paix, du destin de millions de sujets tout autour du globe, des relations internationales, de la nécessaire modification des lois sur le blé. Elle remercie solennellement le Seigneur pour la naissance d’un futur souverain.
Au mois de mai, pour étrenner une toute nouvelle salle de danse à Buckingham, la cour donne un bal costumé sur le thème des Plantagenêts. C’est une réjouissance qui est de nature à satisfaire le besoin qu’a Victoria de se divertir. Albert conçoit cette manifestation comme un événement publicitaire, destiné à attirer l’attention sur les produits de l’industrie textile britannique, qui souffre de la crise. Les somptueux vêtements du couple royal sont en eux-mêmes des commandes généreuses. Victoria est habillée en reine Philippa, Albert en Edward III. Le peintre Edward Landseer, dont la reine admire les œuvres, est prié de les portraiturer dans ces atours.
La presse ne le voit pas du même œil, et critique l’indécence de ces fastes inutiles en un temps de chômage et de pauvreté. Un certain Richard Moncton Milnes, membre du Parlement pour le parti conservateur et poète à ses heures, souligne la diplomatie pour le moins douteuse de cette pompe moyenâgeuse, aussi ridicule que celle du tournoi d’Eglinton. Il publie, dans le Morning Chronicle , où Charles Dickens a fait ses débuts sous le pseudonyme de Boz, un débat fictif des députés de l’Assemblée nationale française sur la signification de cette célébration du souvenir de la guerre de Cent Ans. Un journal parisien propose, en contrepartie, d’organiser un bal masqué où le duc d’Orléans paraîtrait en costume de Guillaume le Conquérant.
Dans les derniers jours de mai 1842, le couple royal rentre en voiture de la chapelle St James, où ils ont entendu l’office. Les passants les saluent fort civilement, veillant toutefois à ne pas s’esbaudir plus que cela de les rencontrer sur le Mall.
« Comme les
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