Victoria
voir Lehzen telle qu’elle est. Il faudrait pour cela que les deux femmes se détachent et s’éloignent quelque peu l’une de l’autre. Lorsqu’il explique son point de vue à la reine, la dispute éclate. Albert rentre dans sa chambre et écrit au baron Stockmar.
« Je vous déclare, à vous qui êtes notre fidèle ami, à Victoria et à moi, que je sacrifierai mon propre confort et le bonheur de ma vie à Victoria en silence, même si elle persiste dans son erreur. Mais le bien-être de mes enfants et l’existence de Victoria en tant que souveraine sont trop sacrés pour que je ne meure pas à la lutte plutôt que de les laisser en pâture à Lehzen. »
De son côté, le même jour, Victoria écrit elle aussi à Stockmar.
« Je me sens si abandonnée et j’ai un si terrible mal de tête ! J’ai l’impression d’avoir fait un affreux cauchemar. J’espère vraiment que vous pourrez calmer Albert. Il a l’air encore tellement en colère. Je ne le suis pas . »
Albert ne décolère pas. Il est d’autant plus perturbé que son cher Eos, blessé dans un accident de chasse, est entre la vie et la mort, soigné par Mr Brown, l’apothicaire de Windsor. Cela inquiète Victoria au moins autant que lui, tant les époux ne semblent faire qu’un, éprouvant par empathie les mêmes sentiments en même temps.
Quand de nouveau Pussy ne va pas bien, la tension est à son comble. La petite digère mal, elle dépérit. Le Dr James Clark lui prescrit du calomel et des décoctions de marante. On ne la nourrit plus que de lait d’ânesse et de bouillon de volaille. Le traitement est inefficace. Il faut assurément la faire manger pour qu’elle reprenne des forces. Clark est manifestement incompétent. Victoria insiste pour s’en tenir à ses ordonnances et les appliquer à la lettre sans chercher plus loin.
Elle a tort. Albert le lui dit. Elle explose.
« Oh ! vraiment, c’est insupportable, dit-elle. Comme je regrette de m’être mariée ! »
« Il faut que je sois patient », murmure Albert, livide de l’effort qu’il fait pour se contenir. Sans un mot de plus, il retourne à sa chambre, où il écrit à la reine ce qu’elle refuse d’entendre.
« Le Dr Clark s’est mal occupé de l’enfant. Il l’a empoisonnée au calomel et tu l’as affamée. Je ne veux plus rien avoir à faire avec cela. Emmène l’enfant, fais comme tu veux, et si elle meurt tu auras sa mort sur la conscience. »
Il fait porter cette lettre à la reine par un page, après en avoir fait une copie pour Stockmar, à qui il écrit sur-le-champ pour lui expliquer la situation.
« Victoria est trop vive et trop passionnée pour que je puisse parler souvent de mes difficultés. Elle refuse de m’écouter jusqu’au bout, mais elle se met en colère et m’agonit de reproches, prétendant que je ne lui fais pas confiance, que je suis soupçonneux, ambitieux, envieux, etc. Tous les désagréments que je subis viennent d’une seule et même personne, et c’est précisément la personne que Victoria choisit comme confidente. »
Victoria, ayant reçu la lettre d’Albert, et sachant qu’il écrit à Stockmar, fait de même.
« Si la note d’Albert est pleine de mots durs et autres choses susceptibles de me mettre en colère et de me rendre malheureuse (car je le sais, il est injuste), ne me la montrez pas. Mais dites-moi ce qu’il veut, car je ne souhaite pas être en colère contre lui et vraiment mon sentiment de la justice serait trop violent pour que je le retienne, si je lisais quelque chose de trop sévère. Si vous pensez que ce n’est pas calculé pour produire cet effet, montrez-le-moi. Albert doit me dire ce qui lui déplaît et je m’emploierai à y remédier, mais il doit aussi promettre de m’écouter et de me croire. Quand (au contraire) je suis énervée, ce qui, je crois, n’est pas très souvent, maintenant, il ne doit pas croire les choses stupides que je dis. »
Elle n’a pas voulu cela. Elle aimerait comprendre ce qui leur arrive. Le bonheur de vivre avec son ange ne peut pas être détruit par des bêtises aussi futiles. Elle est bilieuse, fatiguée par sa maternité. Ils sont tous les deux fous d’inquiétude pour Pussy. Voilà tout. En réalité, la discorde n’est-elle pas plutôt entre Albert et Lehzen ? Ils sont jaloux l’un de l’autre. Albert lui reproche souvent de s’être entretenue avec elle quand ce n’est pas vrai. Il suffirait peut-être d’éloigner un peu
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