Victoria
Toutefois, en constatant l’ampleur des changements, Victoria se ravise. Elle n’a jamais eu l’intention de renoncer à tant de ladies. Si elle y consentait, elle apparaîtrait vaincue et rabaissée aux yeux du monde. Elle le dit à Albert avec la plus grande fermeté.
« Je crains, lui répond-il, que les ragots de ces dames n’aient recommencé de vous influencer. »
Elle explose. Elle enrage. Comment peut-il la traiter ainsi ! Il est injuste. Il est ambitieux. Il s’emploie, par des procédés sournois, à détourner le pouvoir de la reine pour son compte personnel. Elle éclate en sanglots et se retire dans sa chambre, où elle reste longtemps, déprimée.
« Cela me pèse. J’ai été poussée et manipulée par le Prince et par Lord Melbourne. »
Victoria se sent seule. Cette partie-là est perdue. Par ailleurs, elle le sait, elle en convient pour elle-même, son obstination à ne pas vouloir se séparer de ces dames en 1939 avait été bien mal avisée. C’était une erreur, à laquelle Lord Melbourne l’avait poussé, par un subterfuge, pour se maintenir quelques années de plus au pouvoir.
Albert a raison, évidemment. C’est strictement une affaire entre elle et lui. Les accusations qu’elle a lancées contre son ange sous le coup de la colère sont injustes. C’est cette nouvelle maternité qui la diminue, la rend moins apte à la politique, la contraint de s’en remettre au prince davantage, et presque exclusivement.
À la rage succèdent la culpabilité et le mécontentement de soi. C’est dans son caractère. Cette nature éruptive, cette difficulté qu’elle éprouve à rester maîtresse d’elle-même en toute circonstance, c’est une tare héréditaire de la maison de Hanovre. C’est cela même qui a fait de ses prédécesseurs des rois mauvais ou médiocres. Il faut absolument qu’elle s’en corrige. Cela ne lui fait que du tort. Elle n’ignore pas les rumeurs qui circulent à son sujet parmi les dames.
« Je suppose que vous avez entendu cette histoire, aurait écrit Lady Longford à Mrs Stewart : la reine a carrément donné un co up de patte à l’une de ses demoiselles d’honneur ! Si elle continue comme cela, personne n’enviera le prince Albert d’avoir le souci d’apprivoiser une si violente dame ! »
Elle fait effort sur elle-même pour juguler ses sentiments, et ne pas laisser paraître ses émotions. Quelques jours de repos à Claremont, la demeure palladienne où, dans son enfance, elle allait en vacances chez son oncle Léopold, lui feront le plus grand bien. La tradition voulant que le Conseil privé se réunisse sur le lieu où se trouve le monarque, c’est là qu’elle préside à la nomination des nouveaux ministres. Les conseillers remarquent qu’elle semble en avoir gros sur le cœur. Elle est un peu rouge, mais ne se départit pas un instant de la plus admirable dignité.
« Je considère comme mon premier et mon plus grand devoir, lui dit Peel, de veiller à votre bonheur et à votre confort, et à ce qu’aucune personne ne vous soit proposée qui puisse vous être désagréable. »
William Gladstone, qui accède à sa première fonction gouvernementale comme vice-président du Board of Trade, commission d’enquête sur les difficultés du commerce, en fait la remarque à George Anson, au nom des nouveaux ministres.
« Ils ont admiré l’extrême dignité de la reine en son Conseil. La situation était évidemment pénible pour elle, mais sa conduite fut splendide. »
À Windsor, quelques jours plus tard, la reine reçoit son Premier ministre sortant, Lord Melbourne, pour une dernière audience. Ils sont tous les deux visiblement émus, sur la terrasse du château, au clair de lune estival. Les larmes coulent, comme lors de leur première rencontre, au moment de l’accession de Victoria en 1837. Melbourne a été pour elle un guide, comme l’avait été son oncle Léopold, et comme l’est maintenant le prince. Celui qu’avant son mariage elle appelait « mon père » demeure plus qu’un ami. Melbourne sait que sa vie politique s’achève.
« Pendant quatre ans, je vous ai vue tous les jours et j’ai aimé cela davantage chaque jour. »
22
Les canons de Londres tonnent. Les cloches carillonnent. Les acclamations de la foule assemblée devant Buckingham Palace s’articulent en God Save the Queen . Ce 9 novembre 1841, à 11 heures du matin, un héritier mâle de la couronne britannique vient de naître, pour
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