Victoria
Cécile, née Jeanrenaud. Sous le dôme du salon de musique, dont les cinq portes-fenêtres font un panorama sur le parc, il leur a donné un récital de ses Romances sans paroles .
La reine et le prince sont conquis par la musique romantique de cet honnête homme. Prié de revenir, le samedi suivant, il donne des extraits de son oratorio Saint Paul , sur l’orgue du palais, assisté par Albert qui actionne les tirasses de la console. Puis le prince joue lui-même quelques chorals.
Victoria, qui a enfin retrouvé les feuillets qu’elle cherchait, se laisse convaincre de chanter un air du Voyage italien .
« Si vous m’aidez beaucoup, dit-elle, j’essayerai avec plaisir. »
Mendelssohn l’accompagne au piano. Victoria surmonte son trac et chante de sa voix très aiguë.
« Je suis obligé de vous confesser, lui dit-il, que cette musique n’est pas de moi, mais de ma sœur Fanny. Croyez bien que je suis très confus d’avoir à vous avouer cela. Mais nous avons choisi de la publier sous mon nom pour la faire plus rapidement connaître. Votre Majesté accepterait-elle de chanter aussi quelque chose de ma composition ? »
La reine poursuit donc, sans trop trembler, en entonnant le « Lass dich nur » du Pilgerspruch , la Prière du pèlerin .
« Oh ! répond-elle au maestro qui la complimente, si seulement je n’avais pas eu si peur ! D’ordinaire, j’ai le souffle plus long. »
Au mois d’août 1842, pour la première fois de son règne, Victoria se rend en Écosse. Elle est partie de la gare de Slough, près de Windsor. Le train spécial est constitué d’un tender à bagages, derrière la locomotive, suivi du salon royal et de deux wagons pour les membres de la maison de la reine et du personnel des chemins de fer. Elle n’est pas rassurée. Il y a eu récemment plusieurs accidents. On redoute tout particulièrement l’effondrement des terre-pleins.
La reine siège à une extrémité, au centre de la voiture capitonnée et tapissée, les pieds sur un pouf moelleux. De part et d’autre se trouvent deux fauteuils identiques, l’un pour le prince Albert, l’autre pour le Premier ministre, Sir Robert Peel. Dans les angles, deux pots de fleurs en forme d’urnes sont fixés sur des colonnes basses. Les rideaux pourraient être tirés pour les séparer du reste du wagon, qui demeure entièrement vide pour l’instant et dépourvu de tout autre meuble. Elle regarde défiler le paysage par les fenêtres où pendent les pompons des stores.
Le Conseil s’est inquiété de ce long déplacement à travers le nord du pays, en ces temps d’agitation chartiste, et après les deux attentats des mois précédents. Peel n’a donné son accord qu’à condition que le voyage se fasse par la mer. De la gare de Paddington, on traverse Londres en voiture, d’ouest en est, pour aller directement embarquer à Woolwich, au-delà des méandres de la Tamise.
Une foule abondante est assemblée sous la pluie battante pour voir la reine monter à bord du Royal George . C’est le même vieux yacht sur lequel, en 1819, Mme de Kent, enceinte de Victoria, avait rejoint l’Angleterre avec le duc Edward. D’innombrables petits bateaux, bondés de curieux, accompagnent le grand voilier qui s’éloigne lentement sur le fleuve, tiré par un vapeur. Au Nore, le large banc de sable qui marque l’endroit où la Tamise se jette dans la mer du Nord, un navire de guerre de trente-six canons et une goélette de dix-huit forment l’escorte. Six autres vapeurs les suivent, pour remorquer le yacht à tour de rôle. Cinq voitures et vingt-sept chevaux ont pris les devants dans un précédent convoi.
La mer du Nord est mauvaise. Les à-coups des haussières de halage aggravent les effets du tangage et du roulis. Le mal de mer est sévère. Toute la nuit, on n’avance pas à plus de trois nœuds. Par la fenêtre de sa cabine, Victoria aperçoit les lumières des phares. Elle tient à savoir où ils sont, et le nom des îles qu’ils passent, en longeant la côte du Northumberland. À 5 h 30, elle sort sur le pont, mais elle est contrainte de s’étendre dans une chaise longue. La journée semble interminable.
« Puis nous avons aperçu la côte écossaise, qui est si belle, si sombre, rocheuse, fière et sauvage, totalement différente de nos côtes. Nous avons passé le cap Saint-Abb à six heures et demie. De nombreux bateaux de pêche (avec dans l’un d’entre eux un joueur de cornemuse) et à vapeur,
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