Victoria
gens sont courtois ! » observe Albert.
Tout en disant cela, il croit apercevoir, près de Stafford House, quelqu’un qui les vise avec un pistolet. Le temps qu’il prévienne Victoria, l’individu n’est plus là. Personne n’a rien remarqué. Albert commence à douter de ce qu’il a vu.
Bientôt, un garçon se présente au palais, rapportant la même chose que le prince. Il a entendu l’homme maugréer : « Crétin que je suis de n’avoir pas tiré ! » avant de disparaître dans la foule. Le gamin a suivi un autre type qui répétait : « Incroyable ! Incroyable !… » Se sentant filé, il lui a demandé son chemin et s’est éclipsé.
Il convient d’observer sur cette histoire le plus grand secret, tout en prenant des dispositions pour la tirer au clair. Victoria et Albert sortent donc en voiture ouverte, pour une très longue excursion, jusqu’à Hampstead et retour. Ils sont accompagnés, à distance discrète, par de nombreux agents en civil. Deux écuyers vont à cheval de part et d’autre du cabriolet, si près qu’ils leur font un écran de leurs personnes.
Rien ne se passe. Ils reviennent à vive allure, remontant Constitution Hill en direction de Buckingham Palace. Soudain, un coup de feu retentit. Là-bas, un policier maîtrise un homme à terre.
L’individu se nomme John Francis. C’est un ébéniste, fils d’un machiniste du théâtre de Covent Garden. Il a 21 ans et ne semble pas avoir l’esprit spécialement dérangé.
« Vraiment, je n’ai pas eu peur du tout. – Dieu merci, mon ange aussi est indemne ! »
Victoria et Albert ont repris leur routine de travail, assis à leurs bureaux contigus. Les dépêches que contiennent les boîtes rouges sont parfois effrayantes. Des troubles éclatent en Afrique du Sud, à Durban. Surtout, de terribles nouvelles arrivent d’Afghanistan, où la guerre est repartie de plus belle. En novembre 1841, quelques jours avant la naissance du prince de Galles, Akbar Khan a soulevé Kaboul. En janvier de l’année suivante, le général Elphinstone a tenté de se replier sur Jalalabad. Les familles de ses soldats et les blessés qu’il avait laissés dans la ville ont été massacrés. Assaillie par les Afghans à Gandamak, l’armée britannique a été détruite. Sommés de se rendre, les soldats de Sa Majesté ont crié : « Bougrement improbable ! » Tous ont été tués, ou se sont suicidés, quand ils ne sont pas morts de froid. Elphinstone, qui s’était constitué prisonnier, a péri. Un seul homme, le sergent Brydon, a réussi à atteindre Jalalabad.
« Où est l’armée ? lui a-t-on demandé.
— Je suis l’armée. »
Le shah Suja a été assassiné. Les forces britanniques, les cipayes indiens et leurs familles qui avaient rejoint cette armée d’occupation ont été massivement massacrés. Seize mille personnes ont perdu la vie de manière barbare.
Sous le soleil des premiers jours de juillet, la reine circule en calèche dans Londres en compagnie du prince. Un petit jeune homme brandit une arme à quelques pas et fait feu sur elle. Indemne, le couple royal poursuit son chemin avec toute la dignité possible. Il s’avère que l’agresseur, un dénommé John William Bean, n’avait chargé son pistolet que de poudre, de papier et de tabac. Deux jours auparavant, John Francis, condamné à mort pour l’attentat du mois précédent, a été gracié. Si ce n’avait pas été le cas, Bean prétend qu’il n’aurait vraisemblablement pas commis son geste. Le juge choisit de l’estimer fou, pour éviter d’avoir à prononcer une trop lourde sentence. Faire usage d’une arme en présence du monarque est passible de la peine capitale. Le prince Albert proposera au Parlement une nouvelle loi, pour que de telles attaques, dont le but n’est manifestement que d’effrayer la reine, ne soient punies que de sept ans de détention et quelques coups de fouet. Bean sera condamné à dix-huit mois de prison et ne sera pas fouetté.
23
Les mains de Victoria tremblent tellement qu’elle a laissé échapper ses partitions et les ramasse hâtivement, aidée par Felix Mendelssohn. C’est un homme de petite taille, aux longs cheveux noirs bouclés, portant un collier de barbe. Bien qu’il ait dix ans de plus qu’elle, il a l’air d’un garçon. Le compositeur allemand est venu à Londres pour diriger sa symphonie n° 3 en la mineur. Victoria et Albert l’ont invité à Buckingham Palace, avec sa femme
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