Victoria
l’Église presbytérienne d’Écosse. Enfin, les voici de retour à Dalkeith, chez le duc de Buccleuch, près d’Édimbourg.
Victoria refuse catégoriquement de remonter à bord du Royal George . Le voyage de retour s’effectue sur le navire à vapeur Trident .
« Comme les beaux rivages d’Écosse s’éloignaient de plus en plus sous nos yeux, nous nous sommes sentis fort tristes que ce périple très plaisant et très intéressant fût terminé. Mais nous ne l’oublierons jamais. »
De retour à Londres, Victoria trouve une lettre de Felix Mendelssohn. Il lui demande la permission de lui dédier l’œuvre en la mineur qu’elle lui a fait l’honneur d’apprécier, et de l’appeler la Symphonie écossaise .
24
Victoria se réveille au milieu de la nuit. Elle a rêvé que Lehzen venait lui dire au revoir. La baronne est partie deux jours auparavant. La reine avait admis qu’elle ne l’accompagne pas en Écosse, pour commencer de s’habituer à son absence. Lehzen s’en est allée sans prendre congé, pour prévenir un débordement d’émotion qui autrement eût été inévitable. L’affection qui depuis l’enfance de Victoria s’est nouée entre les deux femmes était davantage qu’un amour maternel. La gouvernante des mauvais jours de Kensington était devenue une confidente, une amie très intime. Lehzen s’était attachée à Victoria, non par ambition personnelle, mais par une passion possessive et fusionnelle.
Une reine inspire à son entourage le désir vertigineux de s’abîmer en elle, d’abdiquer son être propre pour n’exister plus que par elle. C’est un sentiment comparable à celui des foules qui s’agglutinent autour d’elle en l’acclamant. Peut-être même sont-ils semblablement éblouis, ces lunatiques silencieux qui tirent sur elle avec des armes chargées à blanc. Une reine régnante est un aimant. Figure vivante de Britannia, Victoria, petite et ronde, suscite merveilleusement cette empathie. La duchesse de Kent aurait voulu régner à sa place, Conroy rêvait d’en faire sa marionnette, Léopold aurait souhaité être un peu son Pygmalion, Melbourne lui voue toujours une adoration éplorée. Vivre à proximité de la souveraine fait naître le désir d’habiter son intimité.
Ce rôle est désormais celui d’Albert. Il s’y est imposé avec un calme délibéré, par une stratégie de contournement et de persuasion. La baronne Lehzen a donc décidé de prendre sa retraite, pour raisons de santé. Ayant reçu une voiture et une confortable pension, elle s’en est allée, discrètement, passer le reste de ses ans chez sa sœur, à Bückeburg, en Basse-Saxe.
Cette manœuvre, qu’Albert a menée à bien avec le concours de George Anson, n’est pas sans rappeler une de ces parties d’échecs à quatre qui occupent si souvent ses soirées.
« Albert ! » Ayant fini son whist avec les dames, Victoria vient se placer près de lui et l’invite à monter se coucher.
Le prince est imperturbablement concentré. Méprisant les cartes, il préfère ce jeu de stratégie complexe, qui se pratique par équipes de deux, sur un grand échiquier de cent soixante cases, avec deux séries de pions de couleurs différentes.
« Albert ! » insiste-t-elle en haussant sensiblement le ton, se retenant de taper du pied.
L’une des erreurs fatales de Lehzen a été de se mêler de politique. Par souci de cultiver une intimité d’intrigue avec Victoria, elle l’incitait à persévérer dans un whiggisme partisan. Il est vraisemblable qu’elle n’en comprenait pas toutes les conséquences.
Guère moins innocemment, peut-être, Melbourne continue d’entretenir une correspondance secrète avec la reine. Le propos de ces lettres est de perpétuer une affinité élective, où la politique n’occupe pas ouvertement une place prépondérante. En tout état de cause, il est dangereux, pour un ancien Premier ministre, d’échanger des courriers avec la souveraine dans le dos de ses adversaires au pouvoir. Il est pour le moins inconvenant de persévérer dans cette activité, en dépit de l’avis d’un mari aussi étroitement impliqué dans les affaires de l’État que l’est le prince Albert.
L’excentrique Melbourne prétend ne trouver rien là d’anormal. Il dit lui-même ne désirer rien d’autre qu’habiter une chambre à coucher en rez-de-chaussée, donnant sur deux bibliothèques. Il semble faire si peu de cas de l’incongruité de la situation
Weitere Kostenlose Bücher