Victoria
rappelle à Albert la situation de la ville de Bâle. Il est merveilleux de penser que le grand sycomore devant leurs fenêtres fut planté par Jacques VI. On invite Victoria à déposer sa signature dans un très ancien grimoire, où le dernier autographe en date est celui de Charles I er . Lord Mansfield l’assure qu’il y a encore en ville des gens qui s’habillent comme au temps de ce roi, alors qu’ils traversent le champ de bataille de Luncarty, où jadis les Danois furent vaincus par les ancêtres de Lord Erroll. Voici le site de la forêt de Birnam, dont les arbres se mirent à marcher pour confondre Macbeth. Au loin, là-bas, on distingue Stormont et Strathtay. Albert trouve que les collines boisées de ce côté-ci rappellent la Thuringe, tandis que les coteaux, de ce côté-là, évoquent plutôt la Suisse.
À Dunkeld, de nouveau, les Highlanders les attendent. La reine et le prince les passent en revue et visitent leur campement, où une table est dressée pour le lunch. Le vieux Lord Glenlyon, désormais aveugle et conduit par sa femme, les accueille.
« La douairière Lady Glenlyon, les Mansfield, les Kinnoull, les Buccleuth, et bien d’autres encore étaient là. »
Rude mélancolie de l’Écosse ancestrale : la dondaine pleure à tue-tête. Les Highlanders, lourds guerriers aux mines farouches, dansent, sur un rythme endiablé, en faisant voler leurs tresses et les longs rubans de leurs bérets, sans jamais toucher les sabres entrecroisés au ras du sol.
À Taymouth, le 92 e régiment de Highlanders en tartan du clan Campbell, Lord Breadalbane en kilt à leur tête, tire une salve d’honneur qui couvre à peine les plaintes enivrantes des pibrocks. Puis ce sont les hourras de la foule aux habits pittoresques, et la splendeur gothique du château médiéval.
« Le coup d’œil était indescriptible. »
À la nuit revenue, les Highlanders dansent toujours sous les feux d’artifice, puis à la lueur des flambeaux, tandis que des lampes tracent des mots dans le parc : « Welcome Victoria – Albert ».
Le lendemain, Albert part à la chasse avec Lord Breadalbane. Victoria fait une excursion avec la duchesse de Norfolk. Elles longent un sentier dans les collines, en contrebas duquel les eaux vives de la Tay bouillonnent sur les rochers. La laiterie qu’elles visitent est une sorte de chalet suisse propret, bâti en blocs de quartz. Dans la vallée, le loch Tay miroite sous le soleil du mois d’août.
« Les Highlands et les montagnes sont trop belles. »
L’après-midi, les hommes exposent leur tableau de chasse devant la maison. Il y a là dix-neuf chevreuils, des lièvres et des faisans, une dizaine de grouses, et un magnifique coq de bruyère.
Puis on navigue sur le loch Tay, jusqu’à Auchmore. Des cascades descendent du Ben Lawyers. Les rameurs chantent en gaélique. Où qu’ils aillent, on a dressé des arches de triomphe. Le dimanche, Victoria lit à haute voix plusieurs chants du Lai du dernier ménestrel de Walter Scott. Albert l’écoute en somnolant, le visage rougi par un magistral coup de soleil. L’unique cerf qu’il a pu tuer ne s’est pas aisément laissé approcher, sur ces landes où pas un arbre n’abrite le chasseur.
Victoria décrit son voyage dans son journal, n’omettant aucun détail. Loin des tracas de la politique et des bassesses de la cour londonienne, l’Écosse est la face romantique de son royaume. Quelques vers de La Dame du lac , de Walter Scott, qui lui revient souvent en mémoire, lui paraissent avoir admirablement capturé l’esprit de son séjour enchanteur.
Regardez à la proue les fiers sonneurs,
Voyez les longs passements de couleur,
Flottant au bout des puissants chalumeaux,
Caresser le sein labouré des eaux,
Quand, vaillants et fiers, sur le lac filant,
Ils jouent cet air ancien des Highlands.
Ils s’arrêtent encore au camp romain de Lindrum, près d’Ardoch. Par des rues étroites, à travers une foule turbulente, ils visitent le château de Stirling, l’ancienne capitale du royaume d’Écosse.
« On nous a montré la pièce où Jacques II tua Douglas, et la fenêtre d’où il fut précipité. »
Il faut encore faire un pèlerinage au champ de bataille de Bannockburn, où Robert Bruce vainquit l’armée anglaise d’Edward II, et voir cette hauteur d’où les dames assistaient jadis aux tournois. On tient à leur montrer la chaire d’où prêchait en son temps John Knox, le fondateur de
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