Vidocq - le Napoléon de la Police
fous, la cour des chiens, la cour des corrections et la
plus sinistre, la cour des fers.
Les condamnés se précipitent sur les
nouveaux arrivants comme sur une proie. Le jeune fils de famille, égaré par une
première faute et encore vêtu avec une certaine élégance, est dépouillé sur
place. En un tour de main, ils le dévalisent : sa montre, ses boutons de manchettes,
son épingle de cravate, sans parler de sa bourse disparaissent en un clin
d’œil. Ses bagues sont arrachées, bien content encore si on ne lui coupe pas
les doigts quand le bijou est trop serré. Pas de temps à perdre à défaire ses
boucles d’oreilles. Il se retrouve les oreilles en sang et dépouillés de tous
ses habits. Pendant que les malheureux essaient de cacher leur nudité, les
fripières hurlent leurs pauvres enchères aux gardiens et se disputent qui une
veste, qui un pantalon. S’ils veulent se plaindre, ils sont avertis qu’on les
retrouvera pendus aux barreaux des fenêtres. Pour ceux soupçonnés d’être des
moutons, leur affaire est vite terminée. Assommés, « suicidés ».
Aucun gardien ne se risque à intervenir.
Sa réputation l’ayant précédée, Vidocq
est admis dans le dortoir de Fort-Mahon sans être molesté. Au contraire, toute
une cour s’empresse autour de lui. Richard, l’un des assassins du courrier de
Lyon, les frères Duhesme, riches fermiers de Bailleul, chefs d’une bande de
chauffeurs associés à François Salembier, Bernard Lion qui s’était incrusté, de
sa propre main, une croix et une chaîne sous la peau, Jacob Moïse et Kotcho qui
pillaient les églises et vendaient à Anvers et Londres, les pierres précieuses
et les bijoux que leurs complices leur procuraient. Mais si certains le
courtisent, d’autres le provoquent.
Un nommé Beaumont décide de tâter
ses muscles. Il défie Vidocq au dortoir. Celui-ci confiant dans sa force
s’élance sur son adversaire et encaisse un formidable coup de pied au menton
qui le laisse à moitié assommé. Beaumont pratiquait la « savate »,
sorte de sport de pugilat à mi-chemin de la boxe anglaise et du jiu-jitsu et
aimait à en faire la démonstration. Seule la puissance de récupération de
Vidocq l’empêche alors d’être complètement dépouillé.
Le lendemain, coinçant Beaumont dans
un cabanon, choisi pour son exiguïté, Vidocq prend sa revanche, il lui casse la
figure et les deux bras. Faute de place son adversaire ne peut utiliser son
art. Cependant, impressionné par cette forme de combat, il contacte le
« saint Georges de la savate », Jean-Baptiste Goupil qui très fier
d’enseigner ce mode de combat à une des célébrités du bagne, l’admet dans sa
classe. En peu de temps Vidocq qui allie force et souplesse devient maître en
cette forme de combat. Les forçats et les gardiens font le cercle pour admirer
les lutteurs et prendre des paris. Pendant que les autres détenus se
passionnent pour ce spectacle, Vidocq n’a qu’un seul et unique projet :
s’enfuir.
Dès le premier soir, il songe à s’évader.
Impossible de faire la chose en solitaire car quelqu’un aurait toujours donné
l’alarme, ne serait-ce que pour se venger. C’est tous ou personne. Vite
convaincus, les prisonniers se relaient pour creuser dans le mur du dortoir de
Fort-Mahon. Le 13 octobre 1797 à deux heures du matin, la cour des fous
apparaît au bout de leur tunnel. Tous les trente-quatre prisonniers s’en vont
sur la pointe des pieds.
Arrivés dans la cour, chacun cherche
une échelle pour sauter le mur. Ils ne trouvent qu’une longue perche. Alors
qu’ils commencent à l’escalader, un léger cliquètement se fait entendre
derrière eux. Un énorme dogue, réveillé dans son premier somme, sort de sa niche
et gronde contre les évadés, avant de déclencher une formidable série
d’aboiements. Toute la cour, tous les bâtiments en résonnent.
Les lumières s’allument, les
gardiens se précipitent, les prisonniers sont cernés. L’opération a échoué.
Un mois plus tard, le 20 novembre
1797, une agitation extraordinaire bouscule le train-train de la prison. Les
détenus sont gardés enfermés pendant que de violents bruits de chaîne
retentissent sur le pavé. Desfosseux, en habitué, murmure : « C’est
le départ. »
Des ordres hurlés s’entrecroisent et
le gardien Brault, fils d’un des geôliers de Marie-Antoinette, entre dans le
dortoir et leur annonce :
« Finie la vie de prince.
J’embarque la
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