Vidocq - le Napoléon de la Police
de pain, enfile par-dessus son costume
rouge de condamné. Il le laisse largement ouvert sur sa poitrine. Sa chemise
reste dissimulée sous une vessie couleur chair. Il présente fermement ses fers
à l’examen du gardien. D’un geste celui-ci lui fait signe d’avancer. Il rejoint
les autres et se dirige vers l’arsenal où des marins travaillent à côté des
prisonniers. À l’abri d’un tas de madriers, Vidocq donne un dernier coup de
lime à ses anneaux qui tombent et se déshabille en un instant. Il enfile sa
perruque, noue dessus un foulard à la manière des matelots et traverse la
ville. Brest est un véritable lacis de ruelles étroites et tortueuses, conçues
pour lutter contre l’emprise des vents, une sorte de labyrinthe. Vidocq perd du
temps, sent qu’il tourne en rond et enrage. Il lui faut arriver à la poterne
avant que le canon n’annonce sa fuite car alors, on bloque les sorties.
Enfin, il aperçoit la porte de
Landerneau. On l’a prévenu qu’y veille le père Lachique, un gardien
soupçonneux, très physionomiste qui n’a pas son pareil pour repérer un évadé.
Gare à celui qui traîne un tant soit peu la jambe ou a une mine inquiète, il
est arrêté sur le champ. Vidocq décide de jouer l’audace. Plutôt que de
chercher à l’éviter, il marche droit vers lui d’un pas décidé et lui demande du
feu, en lui tendant une pipe qu’il a pris soin d’acheter et de bourrer. Il tire
tant qu’il peut sur sa bouffarde et en un instant un nuage de fumée entoure les
deux hommes, empêchant le gardien de dévisager le passant. Sur un merci
désinvolte, Vidocq passe la porte et s’en va d’un pas nonchalant.
Il est à peine au premier tournant
de la route qu’il entend le canon, trois coups. Le « tonnerre de
Brest » signale qu’un bagnard s’est évadé. Attention maintenant aux
chasseurs de primes. Cent francs à gagner pour qui ramènera le fugitif. Partout
dans la campagne, des paysans s’arment de faux et de fusils. Ils battent
jusqu’aux genêts pour voir si aucun bandit ne s’y dissimule. L’un d’eux passe
près de Vidocq et lui fait un aimable signe de tête. Un marin qui fume
paisiblement et porte un foulard, d’où dépassent des cheveux en queue, ne peut
évidemment pas être un bagnard !
Vidocq craint surtout les gitans.
Habitués à observer, passés maître dans l’art du déguisement, rien ne leur
échappe. Ils vivent tapis dans leur campement à l’abri des rochers et partent
tous à la chasse, enfants compris, pour toucher la prime. Sur les 350
prisonniers qui tenteront de s’évader du bagne, ils en retrouveront plus de 340
et empocheront la récompense.
Ayant marché d’un bon pas toute la
matinée, Vidocq est épuisé. Voyant deux paysannes en train de faner, il leur
demande s’il est bien sur la route de Morlaix. Les deux femmes lui répondent en
breton, langue qu’il ne comprend pas. Comment savoir s’il est dans la bonne
direction ? Il les suit au village et à l’auberge, avise le garde
champêtre :
« Je m’appelle Auguste Duval,
j’ai laissé à Morlaix mon portefeuille où sont mes papiers et toute ma prime de
course, 8 doubles Louis ! Connaîtriez-vous quelqu’un qui puisse m’y
conduire ? Il sera bien récompensé. »
Alléché par l’idée d’une prime, le
garde champêtre se propose de l’emmener lui-même en voiture. Vidocq le
remercie. Dans la charrette d’un homme en uniforme, il échappera aux contrôles
de gendarmes. Le long du chemin, il sympathise avec son guide et l’invite dans
tous les estaminets sur la route.
Arrivé à Morlaix, il aide le
conducteur, déjà bien imbibé, à descendre de voiture. Il l’installe devant un
pichet, dans un cabaret, en lui demandant de l’attendre. Pendant trois jours,
Vidocq marche en direction de la capitale mais à un détour de chemin, il est
mis en joue par des gendarmes. Eux ne cherchent pas de forçats évadés mais
d’éventuels chouans. Vidocq n’a pas de papier, son compte est bon. Se faisant
toujours passer pour le matelot Duval, il est incarcéré à Lorient puis à
Quimper. N’ayant pas l’intention de se faire mener de prison en prison jusqu’au
bagne, Vidocq se souvient des leçons du père Godard. Il ingurgite une mixture à
base de jus de tabac. Bientôt brûlant de fièvre, il se plaint que tous les
matelots de son navire aient eu cette sorte de symptôme avant de mourir. Les
médecins consultés, craignent la contagion et l’expédient à
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