Vidocq - le Napoléon de la Police
Au-dessus des caisses et des
ballots, des hamacs suspendus s’entrecroisent comme dans le dortoir d’un
navire, les hommes s’y reposent entre chaque expédition.
Chaque fois qu’une bonne affaire se
présente, Peters arrive frappant la porte de sa crosse :
« Branle-bas de combat !
Vous dormirez un autre jour. On signale L’écureuil pour la marée de minuit.
Faut y aller pour voir ce qu’il a dans le ventre, de la mousseline ou du tabac.
Allez, vite les marsouins. »
Dormant tout habillé, en un clin
d’œil, tout le monde est à terre. Chacun se précipite vers la malle où sont
entreposées les armes. Une carabine ou des pistolets, coutelas, haches
d’abordage, toutes les armes sont sous clef pour éviter que les disputes ne
tournent au drame.
Après une rasade d’eau-de-vie, les
hommes s’enfoncent dans la nuit vers les falaises. En chemin ils sont rejoints
par des paysans amenant des chevaux de trait, cachés dans le creux de la paroi.
Le vent hurle, la mer se brise avec
force sur les rochers, les nuits de tempête sont les plus propices aux
contrebandiers car on espère que les gabelous préfèrent rester à l’abri chez
eux. Pour cette même raison, les bateaux restent en haute mer, ne pouvant
s’approcher de la côte. À la lueur des étoiles, on voit un brick danser sous la
houle.
Peters agite une lanterne à
réflecteur. Après quelques échanges lumineux du navire, le débarquement des
marchandises se prépare. Divisés en trois groupes, les contrebandiers se
séparent. Deux bandes enserrent la crique de façon à faire face à une
éventuelle embuscade des douaniers. Chaque sentinelle est reliée à l’autre par
une ficelle attachée à son bras gauche. En cas de danger, il suffit d’agiter le
bras. Tous ressentent alors ce signal et tirent un coup de fusil en même temps,
de façon à affoler les douaniers qui ont l’impression de se trouver face à un
régiment. Au milieu, le reste de la troupe s’occupe de débarquer les
marchandises. Sur un ordre de Peters, un de ses gros chiens terre-neuve s’élance
à l’eau en direction des canots qui entourent le brick, à quelques kilomètres
de la rive. On ne voit que la grosse tête du molosse qui disparaît entre les
vagues. Un long moment après, on le voit resurgir, traînant dans sa gueule un
grand bout de câble attaché à un bâton de liège. Peters s’en saisit, félicite
son chien et ordonne aux hommes de tirer. À l’autre bout du cordage dix ou
douze tonneaux bien hermétiques, flottent, attachés en chapelet. Huit fois de
suite, les chiens plongent et ramènent leur prise qui est chargée sur les
charrettes des paysans.
« Pas d’bal aujourd’hui, la
douane est restée couchée », conclut leur chef en revenant, escorté de ses
chiens.
Toutes les nuits, les passeurs sont
sur la brèche. Les opérations ne sont pas toujours de tout repos. Et les
douaniers se trouvent parfois face à une bande de cinquante hommes armés et
bien déterminés à garder leur butin. Il arrive que n’étant pas en nombre
suffisant pour résister, on leur confisque la marchandise.
Le lendemain, ils n’hésitent pas à
revenir en force attaquer le poste de douane et récupérer leur bien. Cela n’est
pas toujours nécessaire, la corruption achète bien des consciences, à commencer
par celles des gabelous.
Bientôt, Vidocq peut rembourser
Francine et envoyer de l’argent à sa mère. Il prend même des parts en
s’associant aux frais car les passeurs forment de véritables sociétés. Plutôt
que de dégager ses bénéfices et faire la fiesta avec les autres, il réinvestit
sans arrêt son argent :
« T’es un mec gonflé. Tu ne
prends même pas d’assurance ! », s’étonne Peters. Lui préférait payer
30 % de la valeur de la marchandise en garantie, affirmant que c’était
rentable :
« Ben quoi, nous revendons deux
cents fois le prix d’achat. Avec ce que nous paient les marchands, pris à la
gorge par le blocus, nous sommes sûrs de faire fortune ! »
La douane reste vigilante mais en
face, on s’organise. Les Anglais copient les étiquetages et les emballages en
vigueur sur le territoire de la République. Les capitaines de bateaux de fret
ont pris l’habitude d’avoir deux sortes de papiers à présenter en cas de
contrôle en mer. Les uns pour les autorités britanniques et les autres à
montrer aux Français.
Une maison de Liverpool s’est même
spécialisée dans la fabrication de ces
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