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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anonyme
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le pis est que, bien qu’il serve peu, il nous fera faute néanmoins et me mettra en frais de trois ou quatre réaux. Le meilleur parti à prendre, puisque le précédent ne vaut rien, est d’armer à l’intérieur une ratière à ces rats. »
    Aussitôt il emprunta une ratière, et, avec des croûtes de fromage qu’il demanda à des voisins, il arma la trappe dans le coffre : ce qui me fut d’un singulier secours, car encore bien que je n’eusse pas besoin de beaucoup de sauces pour manger, je me régalai toutefois des bribes de fromage que je tirai de la ratière, ne renonçant pas pour cela à émietter le pain. Lorsque le prêtre trouva que le pain était rongé et le fromage mangé, sans que le rat qui le mangeait fût tombé, il se donnait au diable et demandait aux voisins ce que cela voulait dire : comment le rat pouvait manger le fromage, le tirer hors de la ratière et n’y point tomber ni demeurer pris, alors que l’on trouvait chu le trébuchet de la trappe ?
    Les voisins furent d’avis que ce n’était pas un rat qui causait ce dommage, car une fois ou l’autre il n’aurait pu manquer de tomber. L’un d’eux dit : « Il me souvient qu’une couleuvre fréquentait votre maison, ce doit être elle, et cela s’entend : la couleuvre, étant longue, a le moyen de saisir l’appât, et encore que le trébuchet lui tombe dessus, comme elle n’entre pas tout entière dans la ratière, elle en peut ressortir. »
    Ce que dit ce voisin fut approuvé par tous et troubla beaucoup mon maître ; aussi dorénavant ne dormait-il pas si profondément que le moindre ver, qui de nuit faisait craquer le bois, ne lui donnât à penser que c’était la couleuvre en train de ronger le coffre. Incontinent il était debout, et avec un gourdin que, depuis qu’on l’avait averti de cela, il plaçait sous son chevet, sur le pauvre coffre allait donner de fort grands coups pour épouvanter la couleuvre. Au vacarme qu’il faisait, il réveillait les voisins et ne me laissait pas dormir, allant à ma paillasse, la retournant et moi en même temps, dans la pensée que la couleuvre venait auprès de moi et se glissait dans ma paille ou mon saye, car on lui avait dit que ces bêtes ont accoutumé, de nuit, pour se réchauffer, de venir dans les berceaux des enfants, qu’elles mordent et mettent en danger.
    Le plus souvent je faisais l’endormi, et quand le prêtre me disait au matin : « Cette nuit, garçon, n’as-tu rien senti ? J’ai couru après la couleuvre et je crois qu’elle vient se mettre auprès de toi dans ton lit, car ces bêtes sont fort froides et cherchent la chaleur. » – « Plaise à Dieu, » répondais-je, « qu’elle ne me morde pas, car j’en ai grand peur. »
    Le prêtre était si excité et si continuellement éveillé, que, ma foi, la couleuvre, ou, pour mieux dire, le couleuvreau, n’osait plus ronger de nuit ni s’approcher du coffre ; mais je donnais mes assauts de jour, pendant que mon maître était à l’église ou dans le village. Lui, voyant ces dégâts et le peu de remède qu’il y pouvait apporter, errait la nuit comme un fantôme, ainsi que je l’ai dit.
    J’eus peur que par ces diligences il ne vint à trouver la clef que je tenais sous ma paillasse, et il me parut que le plus sûr était, pendant la nuit, de la garder dans ma bouche, car, depuis que j’étais entré au service de l’aveugle, je l’avais si bien habituée à me servir de bourse, qu’il m’advint d’y abriter douze ou quinze maravédis, tous en demi-blanques, sans que je fusse pour cela empêché de manger : autrement je n’aurais pas réussi à soustraire une seule blanque à l’enquête du maudit aveugle, qui n’omettait de tâter soigneusement nulle pièce ni couture.
    Ainsi donc, comme j’ai dit, tous les soirs je mettais la clef dans ma bouche et dormais sans craindre que mon sorcier de maître la découvrît. Mais quand le malheur doit venir, vaine est la prévoyance. Ma destinée, ou, pour mieux dire, mes péchés, voulurent qu’une nuit, tandis que je dormais, la clef se plaçât dans ma bouche, alors sans doute ouverte, de telle façon que le souffle, qu’en dormant j’exhalais, passât par le creux de la clef, qui était forée, en sifflant très fort, pour comble de malechance. De manière que mon maître, réveillé en sursaut, l’entendit et crut que c’était le sifflement de la couleuvre, et en effet il y en avait apparence. Il se leva tout doucement avec

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