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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anonyme
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son gourdin à la main, puis, à tâtons et au sifflement de la couleuvre, se dirigea vers moi avec grande précaution pour n’en être point senti. Et lorsqu’il se fut approché, il pensa que là, dans la paillasse où j’étais couché, elle était venue se réchauffer à ma chaleur. Alors levant haut son bâton, car il pensait l’avoir sous lui et lui donner telle bastonnade qu’il la tuerait, il m’asséna sur la tête un si grand coup, que j’en restai sans connaissance et grièvement navré.
    Lorsqu’il s’aperçut qu’il m’avait atteint, à la grande plainte que du terrible coup je dus faire, il s’approcha, comme il le conta depuis, et m’appelant à voix haute, tenta de me faire revenir à moi. Mais comme, en me tâtant de ses mains, il sentit que je perdais du sang en abondance et reconnut le tort qu’il m’avait fait, en grande hâte il alla chercher une lumière. S’en étant muni, il revint et me trouva geignant avec ma clef dans la bouche, que je n’avais pas lâchée, et dont une moitié sortait et se trouvait dans la même position que lorsque j’en sifflais. Consterné à l’aspect de cette clef, le tueur de couleuvres la considéra, et, me la tirant toute hors de la bouche, vit ce qui en était, car, par les gardes, elle ne différait en rien de la sienne. Il alla aussitôt l’éprouver, et, par ce moyen, prouva le méfait. C’est alors que dut dire le cruel chasseur : « Le rat et la couleuvre qui me donnaient guerre et mangeaient mon bien, je les ai trouvés. »
    De ce qui advint pendant les trois jours suivants, je ne certifierai rien, vu que je les passai dans le ventre de la baleine ; mais ce que je viens de vous conter, je l’ouïs dire, après avoir repris connaissance, à mon maître, qui, à tous ceux qui venaient s’informer, relatait le cas tout au long.
    Au bout de trois jours, je revins à moi et me trouvai couché sur ma paillasse, la tête toute emplâtrée et couverte d’huiles et d’onguents. Étonné, je dis : « Qu’est ceci ? » – « Ce sont, » me répondit le cruel prêtre, « les rats et les couleuvres qui me ruinaient et que j’ai chassés. » Je m’examinai et me vis si maltraité, qu’aussitôt j’eus vent de mon mal.
    À cette heure entrèrent une vieille charmeresse et les voisins, qui se mirent à m’enlever des linges de la tête et à me panser le coup de bâton ; et comme ils virent que j’avais repris connaissance, ils s’en réjouirent beaucoup et me dirent : « Allons, vous avez recouvré vos sens ; s’il plaît à Dieu, ce ne sera rien. » Puis ils recommencèrent à conter mes misères et à en rire, et moi, pauvret, à en pleurer. Avec tout cela, ils me donnèrent à manger, car j’étais transi de faim, et c’est à peine s’ils purent me secourir. Enfin, petit à petit, au bout de quinze jours, je pus me lever et demeurai hors de danger, mais non pas hors de faim ni complètement guéri.
    Le lendemain du jour où je me levai, le seigneur mon maître me prit par la main, et, m’ayant fait passer la porte et mis dans la rue, me dit : « Lazare, dorénavant tu es à toi et non plus à moi. Cherche un maître et va-t’en avec Dieu ; je ne veux pas à mon service de si diligent serviteur. Par ma foi, il faut que tu aies été garçon d’aveugle. » Et se signant devant moi, comme si j’avais eu le diable dans le corps, il rentra chez lui et ferma sa porte.

CHAPITRE IV – COMMENT LAZARE ENTRA AU SERVICE D’UN ÉCUYER ET CE QUI LUI ADVINT ÉTANT EN SA COMPAGNIE
    J E fus donc contraint de tirer forces de faiblesse, et, peu à peu, avec l’aide des bonnes gens, gagnai cette insigne cité de Tolède, où, par la grâce de Dieu, au bout de quinze jours, ma blessure se ferma. Tant que je fus malade, on me donnait toujours quelque aumône, mais aussitôt que je fus guéri, tous me disaient :
    « Propre à rien, galefretier, cherche, cherche un maître à qui servir. » – « Et où le trouver ce maître ? répondais-je en moi-même, à moins que Dieu ne m’en crée un maintenant, tout exprès, comme il a créé le monde. »
    Passant ainsi de porte en porte et fort mal secouru (car il y a beau temps que la charité est remontée au ciel), Dieu me fit rencontrer un écuyer, qui allait par la rue convenablement vêtu, bien peigné et marchait à pas cadencés et réguliers. Nous nous regardâmes l’un l’autre, et il me dit : – « Garçon, cherches-tu un maître ? » – « Oui,

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