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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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ajoute cependant : « Dégote un gros
coup et peut-être que je t'engagerai. »
    Où dégoter le gros coup ? Je cherche, je
cherche, jusqu'à ce soir de juin 1976 où je retrouve un drôle de bonhomme.
    Je l'avais déjà  rencontré un soir de
février, peu avant mon départ pour les Olympiades de Suède. Je ne l'avais pas
vu aussitôt; j'avais entendu d'abord, sa voix puissante qui traversait la salle
de restaurant où nous étions, Bernard Stasi et moi.
    Un caban sur un pantalon tirebouchonné, des
cheveux poivre et sel, des yeux gris-vert comme des algues, des yeux habitués à
voir loin les récifs et les écueils; des yeux qui cherchent au-dedans de l'âme.
Avec sa voix habituée à parler contre le vent, il embrochait toute la salle. Je
l'écoutais — il parlait de la mer — et déjà je me sentais prêt à appareiller.
Tout ce qu'il disait était simple, logique, plein de bon sens et, dans ma
mémoire, les mêmes mots surgissaient. Sa route, quoique différente, emportait
le même espoir, la même volonté de vivre. Me doutais-je alors qu'une autre aventure
allait commencer avec celui que certains appellent le père Jaouen, d'autres
Michel ?"
    Le drôle de bonhomme continuait à parler;
on aurait dit qu'il s'adressait à un équipage et à ses passagers. Je le
regardais : ce corps puissant, ces mains larges qui cherchent toujours à
saisir, à saisir pour comprendre, à aider aussi, simplement, dans un geste, un
mouvement, sans besoin d'outil.
    Il est né entouré par la mer, à Ouessant.
La mer, longtemps il devra la quitter. Une longue formation religieuse
l'entraînera de centre en centre, à Laval, à Tours, en Algérie, au Maroc, puis,
en 1951, il sera ordonné prêtre. Avant cela il y eut la guerre... Mais je ne
raconterai pas. La liste de ses « aventures » serait certes passionnante, mais
fastidieuse au père Jaouen et gênerait le marin.
    Répétons simplement quelques faits, comme
on pourrait les lire en quatrième page d'une couverture de livre : « Dès ses
années de formation, il s'oriente vers la jeunesse délinquante. Cofondateur de
l'association Jeudi-Dimanche, fondateur et animateur du centre nautique de Pen
Enez, aumônier à Fresnes pendant plus de dix ans, fondateur du grand foyer des
Epinettes pour les jeunes libérés de prison, patron de la fameuse goélette Bel- Espoir II et organisateur
des grands voyages de postcure en mer pour les convalescents de la drogue. »
Voilà qui en dit peu sur l'amour et le courage du père Jaouen.

Après le dîner, il nous avait entraînés
dans un endroit à la mode, non pour y rencontrer le Tout- Paris des noctambules
mais pour boire une bouteille avec le patron amateur de voile et parfois
passager de ses bateaux. Le patron nous avait offert le Champagne puis j'étais
resté dans mon coin, avec ma coupe, à deux pas des danseurs. Deux pas que je ne
referai plus.
    Dans le fond de la salle, un homme semblait
comme moi s'ennuyer un peu. Je m'approchai de lui et très vite nous nous
mettions à discuter. Comme il me demandait qui j'étais et ce que je faisais, je
lui ouvris mon album d'images. Je me souviens de m'être emparé des cendriers,
des verres, des bouchons, des cuillères et de les avoir disposés sur la table
pour figurer mon tour du monde. Les cendriers représentaient les continents,
les pays : la Chine, le Venezuela; les verres des bateaux ou des capitales un
peu de cendre le Viêt-Nam. Nous avons discuté ainsi pendant des heures — les
bouchons qui sautaient étaient autant d'avions sillonnant la planète. Parfois
un doigt s'appuyait sur un coin de table où vivaient des gens, parlant comme
nous, tard dans la nuit, de cavales, d'histoires d'écolier... Cet homme avec
lequel je parcourais le monde s'appelait Jacques Martin.
    Je revis plusieurs fois le père Jaouen chez
lui, à Paris, au milieu d'autres qui me ressemblaient avec leurs angoisses,
leur soif d'absolu, leurs rêves pliés en quatre dans leur mouchoir. Chaque
fois, il parlait de ses bateaux, le Bel-Espoir et le Rara Avis qu'il allait faire
partir vers l'Amérique pour le bicentenaire de l'Indépendance. Tous les pays du
monde envoyaient leurs grands voiliers. La France, elle, n'avait pas jugé bon
d'affréter son navire-école, la Belle-Poule. Aussi le père
Jaouen   avait-il décidé,
simplement, sans souci des autorisations, que la France serait représentée par
son intermédiaire. Le Bel-Espoir courrait dans la catégorie des grands voiliers; le Rara Avis suivrait

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