Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
Vom Netzwerk:
sont diffusés vers le haut de l'horizon. Le jaune, l'orange
et le rouge vers le bas. Seuls les rayons verts parviennent à l'observateur.)
Et nous dînons pour la première fois sur le pont, comme des oiseaux rentrés
sous leur aile — comme des oiseaux barbus et crasseux. Michel est avec nous :
il ressemble à un bloc de granit arraché à la côte. Un instant, l'appétit me
revient et ce sourire au ventre me met du bonheur dans la tête.
    « Où sommes-nous ? » demande l'un de nous.
    « Où sommes-nous? » Affaire de dire quelque
chose car personne ne se perdra sous les étoiles.
    « Tu vois, me dit Michel, les gosses ici
peuvent se repérer. Quand il est midi ça sent la bouffe. L'air marin s'est
chargé de les creuser. Le soir, le soleil se couche à l'horizon et, la nuit, le
ciel leur parle un langage tout à eux. La Grande Ourse, le Petit Chariot, ce
sont des mots d'enfant, des mots de bon sens. Des mots à faire pleurer un
psychiatre. »
    Tout le monde se parle; le niveau du baril
de vin rouge s'est mis à marée basse. Ça sent la soupe, le tabac rêche et cette
odeur de complicité inconnue de la terre.
    4T30N 15°W
    Nous sommes à cent milles des Açores. Des
dauphins viennent nous saluer; Kif en perd la tête. Que se disent-ils ? Pourvu
qu'il ne saute pas à l'eau comme il a l'habitude de le faire lorsque le bateau
avance lentement.
    4TN 17°W
    En pleine nuit, c'est la panique : Gauloise, barré par un
Suisse, Fellman, envoie un S.Q.S. Son bateau, trop fragile, a une voie d'eau
importante. Michel ne quitte plus la radio. Réprimant nos fous rires, nous
écoutons la voix de la standardiste de Saint-Lys qui répond, laconique, aux
cris du Suisse
    « Je coule ! Je coule !
    -Bon, ça va, message reçu.
    - Mais je coule! Il y a de l'eau partout!
    -  Bon, ça va, je transmets. .
    - Mais je coule !... »
    Michel s'est aussitôt proposé de se
dérouter pour sauver Gauloise mais la Marine est arrivée la première.     -
    16"N WW
    La vie à bord a pris une autre allure. On
ne parle presque plus de la ville. La vieille Europe craque, la logique de
Descartes ne tient plus le coup. La politique du bas de laine fait place à un
désir de vie sans épargne.
    Le mauvais temps confine passagers et équipage
dans le rouf, autour de la grande table devenue table de jeu. La petite
bibliothèque est prise d'assaut, j'en serai réduit à lire les mêmes livres, les
mêmes articles au cours de cette traversée. De gros grains recouvrent le rouf :
toute sortie sur le pont pour changer de voile est saluée par une douche
glacée.
    Michel passe une partie de son temps à lire
dans sa cabine; j'en ferais bien autant mais la présence des autres m'est
encore nécessaire dans ce nouvel élément. Les rapports sont pourtant difficiles.    x
    Que de tours du monde il doit falloir faire
pour ne plus juger, pour se taire et aimer l'autre !
    Ma sobriété même est suspectée. Lorsque
nous apprendrons qui a gagné la course, je trinquerai pour fêter l'événement,
ce qui fera dire à l'un des membres de l'équipage : « Je suis heureux de te
voir boire, j'ai l'impression que tu vas mieux. »
    Michel ne prend jamais parti, laissant les vieilles
habitudes terrestres s'émousser. Il y a ceux qui se réservent les quarts de
nuit pour la solitude, la lumière jaunâtre du compas et la toile d'araignée du
ciel. Quelques autres .ont choisi ces longues heures de silence, rythmées par
les coups de boutoir du bateau, pour attaquer les réserves de chocolat et dé
crème glacée. Les boîtes vides sont jetées par-dessus bord pour éviter tout
remords de conscience. D'autres n-'ont même pas remarqué qu'ici le ciel n'était
plus le même et  tentent de recréer des clans, des classes, des privilèges.
    43°20N 21"W
    Depuis dix jours, Michel ne voulant jouer
ni le flic ni le maître, un certain délire s'était installé à bord : on ne
savait plus qui faisait quoi. Et puis, aujourd'hui, l'une des deux passagères a
traversé en courant je couloir à moitié nue. Elle venait de la cuisine, un
couteau à la main. Elle hurlait : « Je vais le tuer ! Je vais le tuer ! »
Michel s'est approché d'elle et l'a retenue dans ses bras. La fille s'est mise
à sangloter.
    Ils ont parlé pendant des heures, à la fin
ils riaient. Il lui refaisait le monde et elle finissait par le trouver
supportable. Pourquoi voulait-elle tuer ? Elle ne savait plus. Qui voulait-elle
tuer? Le temps, peut-être, qui avait tissé sa toile autour d'elle.
    A partir

Weitere Kostenlose Bücher