Vies des douze Césars
rapportaient ses jugements, contrefaisaient ses nominations à des offices ou les altéraient publiquement. (2) Sans entrer dans de minutieux détails, je dirai qu’il fit périr, sur des accusations vagues et sans avoir voulu les entendre, Appius Silanus qui lui était uni par les liens d’une commune paternité, et les deux Julies, l’une fille de Drusus, l’autre de Germanicus ; et qu’il traita de même Cneius Pompée, marié à l’aînée de ses filles, et Lucius Silanus, fiancé à la plus jeune. (3) Le premier fut percé dans les bras d’un adolescent qu’il aimait ; le second fut forcé d’abdiquer la préture le quatrième jour avant les calendes de janvier, et de se donner la mort au commencement de l’année, le jour même des noces de Claude et d’Agrippine. (4) Il sévit avec tant de légèreté contre trente-cinq sénateurs et plus de trois cents chevaliers romains, qu’un centurion étant venu lui annoncer la mort d’un personnage consulaire, et lui disant que son ordre était accompli, il lui répondit qu’il n’en avait donné aucun. Toutefois il n’en approuva pas moins l’exécution, parce que ses affranchis lui assurèrent que les soldats avaient fait leur devoir en s’empressant de venger leur empereur. (5) Mais, ce qui passe toute croyance, c’est qu’il signa lui-même le titre de la dot aux noces de Messaline avec l’adultère Silius. On lui avait fait croire que ce n’était qu’un jeu pour éloigner et détourner sur un autre un danger dont quelques prodiges le menaçaient.
XXX. Son portrait
(1) Il ne manquait pas d’un certain air de grandeur et de dignité, soit qu’il fût debout, soit qu’il fût assis, et surtout lorsqu’il restait tranquille. Sa taille était élancée, mais sans maigreur. Ses cheveux blancs ajoutaient à la beauté de sa figure. Il avait le cou bien plein. (2) Lorsqu’il marchait, ses genoux chancelaient ; et, soit qu’il plaisantât, soit qu’il fût sérieux, il avait mille ridicules, un rire affreux, une colère plus hideuse encore, qui faisait écumer sa bouche toute grande ouverte en humectant ses narines ; un bégaiement continuel et un tremblement de tête qui redoublaient à la moindre affaire.
XXXI. Sa santé
Sa santé fut mauvaise jusqu’à son avènement au trône, et florissante depuis ce moment. Il éprouvait pourtant des douleurs d’estomac, quelquefois si violentes, qu’il eut, à ce qu’il dit lui-même, des idées de suicide.
XXXII. Ses repas
(1) Il donnait fréquemment d’amples festins, et presque toujours dans de vastes espaces découverts, afin de pouvoir réunir jusqu’à six cents convives à la fois. (2) Après un repas sur le canal d’écoulement du lac Fucin, il faillit être submergé par la masse d’eau qui s’échappa tout à coup. (3) Il avait toujours ses enfants à sa table, et avec eux la jeune noblesse des deux sexes. Suivant l’ancienne coutume, ces enfants mangeaient assis au pied des lits. (4) Un convive ayant été soupçonné d’avoir volé une coupe d’or, Claude l’invita de nouveau le lendemain, et lui en fit servir une d’argile. (5) On prétend qu’il avait projeté un édit par lequel il permettait de lâcher des vents à table, parce qu’il s’était aperçu qu’un de ses convives avait été incommodé pour s’être retenu par respect.
XXXIII. Sa voracité. Sa passion pour les femmes et pour le jeu
(1) Il était toujours disposé à manger et à boire, en quelque temps et en quelque lieu que ce fût. Un jour qu’il rendait la justice dans le Forum d’Auguste, il fut frappé du fumet d’un repas qu’on apprêtait pour les Saliens dans le temple de Mars qui était près de là. Aussitôt il quitta son tribunal, monta chez ces prêtres, et se mit à table avec eux. (2) Jamais il ne sortit d’un repas sans s’être chargé de mets et de vins. Il se couchait ensuite sur le dos, la bouche béante, et, pendant son sommeil, on lui introduisait une plume dans la gorge pour dégager son estomac. (3) Il dormait fort peu, et s’éveillait d’ordinaire avant minuit. Aussi le sommeil le reprenait-il quelquefois pendant le jour lorsqu’il était sur son tribunal, et les avocats, en élevant exprès la voix, avaient de la peine à le réveiller. (4) Il porta l’amour des femmes jusqu’à l’excès, mais il s’abstint de tout commerce avec les hommes. (5) Passionné pour les jeux de hasard, il publia un ouvrage sur ce sujet. Il jouait même en voyage, sa
Weitere Kostenlose Bücher