Vies des douze Césars
libre, c’était lui. (6) Son mot favori, celui qu’il répétait à toute heure et à tout moment, était : « Quoi ! me prenez-vous pour Telegenius ?. Et cet autre : « Parlez, mais ne me touchez pas. » Il disait encore beaucoup de choses qui eussent été inconvenantes pour des particuliers, et qui l’étaient à plus forte raison dans la bouche d’un prince qui n’était ni sans éducation ni sans savoir, et qui même cultivait les belles-lettres avec ardeur.
XLI. Ses ouvrages. Il inventa trois lettres
(1) Dans sa première jeunesse, il essaya d’écrire l’histoire, encouragé par Tite-Live et aidé par Sulpicius Flavus. (2) Il s’aventura à en lire des fragments devant un nombreux auditoire ; mais il put à peine les achever, parce que plus d’une fois il s’était refroidi lui-même. En effet, au commencement de sa lecture, des bancs brisés sous le poids d’un homme fort épais avaient causé une hilarité générale ; et même, après que la rumeur fut apaisée, il ne put s’empêcher de rappeler de temps à autre cet événement et d’exciter de nouveaux éclats de rire. (3) Il écrivit aussi beaucoup pendant son règne, et fit lire assidûment ses ouvrages par un lecteur public. (4) Il commençait son histoire à la mort du dictateur César ; mais il passa à une époque plus récente, à la fin des guerres civiles, sentant qu’il ne pouvait parler ni avec liberté ni avec vérité des temps précédents, à cause du reproche que lui adressaient souvent sa mère et son aïeule. Il laissa deux volumes de cette première histoire, et quarante et un de l’autre. (5) De plus, il composa huit volumes de mémoires autobiographiques, qui manquaient plutôt d’esprit que d’élégance. Il fit une apologie assez érudite de Cicéron contre les livres d’Asinius Gallus. (6) Il inventa trois lettres qu’il croyait indispensables, et qu’il joignit à l’alphabet. Il donna un traité sur ce sujet, étant encore simple particulier ; et, quand il fut empereur, il obtint aisément qu’elles fussent mises en usage. Ces caractères se trouvent dans presque tous les livres, dans les actes publics et les inscriptions de cette époque.
XLII. Sa prédilection pour le grec et ses productions dans cette langue
(1) Il ne cultiva pas avec moins de soin la littérature grecque, proclamant en toute occasion la beauté de cette langue et son estime pour elle. (2) Un étranger discutait devant lui en grec et en latin. Claude commença sa réponse en ces termes : « Puisque tu possèdes nos deux langues. » En recommandant l’Achaïe au sénat, il dit qu’il aimait cette province à cause de la communauté des études. Souvent il répondit en grec à ses ambassadeurs par des discours soutenus ; (3) et, sur son tribunal, il citait beaucoup de vers d’Homère. (4) Toutes les fois qu’il s’était vengé d’un ennemi ou d’un assassin, il avait coutume de donner le vers suivant pour mot d’ordre au tribun de garde qui, selon l’usage, venait le lui demander : « Repousser le premier qui m’irrite et m’outrage. » (5) Enfin il écrivit en grec vingt livres de l’histoire des Tyrrhéniens et huit de celle des Carthaginois. Ce fut en considération de ces ouvrages qu’il ajouta un second musée à celui d’Alexandrie, et qu’il l’appela de son nom, en ordonnant que, chaque année, à des jours marqués, comme pour des cours publics, on lirait en entier, dans l’un l’histoire des Tyrrhéniens, dans l’autre celle des Carthaginois, et que les divers membres de l’établissement se relayeraient pour en achever la lecture.
XLIII. Son repentir d’avoir épousé Agrippine et adopté Néron
(1) Vers la fin de sa vie, il donna des marques non équivoques du repentir qu’il éprouvait d’avoir épousé Agrippine et adopté Néron. En effet, ses affranchis lui rappelant avec éloge une procédure dans laquelle il avait condamné la veille une femme adultère, il leur répondit que le destin lui avait aussi donné des femmes impudiques, mais qu’elles n’étaient pas restées impunies. (2) Un moment après, rencontrant Britannicus, il le serra dans ses bras, et lui dit : « Grandis, et je te rendrai compte de toutes mes actions. » Il ajouta en grec : « Celui qui t’a blessé te guérira. » Quoique Britannicus fût dans la première fleur de l’âge, Claude se proposait de lui faire prendre la toge virile, parce que sa taille le permettait : « Enfin,
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