Vies des douze Césars
personne ; l’autre, affectant la surprise, dit que depuis quelques nuits elle faisait aussi le même rêve. Peu de temps après, on annonça de dessein prémédité, qu’Appius s’élançait vers le palais ; et, en effet, il avait reçu ordre, la veille, d’y paraître à point nommé. Claude, persuadé qu’il ne venait que pour réaliser le songe, le fit saisir aussitôt et mettre à mort. (4) Le lendemain, il ne craignit pas de raconter toute l’affaire au sénat, et remercia son affranchi de veiller sur ses jours, même en dormant.
XXXVIII. Son penchant à la colère. Il cherche une excuse à sa stupidité
(1) Comme il se sentait enclin à la colère et à l’emportement, il s’en excusa dans un édit. Au moyen d’une distinction, il promit que l’une serait courte et inoffensive, et que l’autre ne serait point injuste. (2) Un jour qu’il s’était embarqué sur le Tibre, les habitants d’Ostie n’avaient point envoyé de bateaux à sa rencontre. Il les en reprit vertement, et leur écrivit même avec rigueur qu’ils l’avaient fait rentrer dans la foule. Mais tout à coup, comme s’il se repentait de les avoir blessés, il leur pardonna. (3) Il repoussa de sa main quelques personnes qui avaient mal pris leur temps pour l’aborder en public. (4) Il exila, injustement et sans les entendre, le secrétaire d’un questeur et un sénateur qui avait géré la préture ; le premier, pour avoir plaidé contre lui avec trop de vivacité, avant qu’il fût empereur ; le second, pour avoir puni, étant édile, ses fermiers qui, malgré les défenses, vendaient des mets cuits, et avoir fait battre de verges l’intendant qui intervenait dans la cause. Ce fut pour la même raison qu’il ôta aux édiles la surveillance des cabarets. (5) Loin de garder le silence sur son imbécillité, il prétendit prouver dans quelques discours, que ce n’était qu’une feinte qu’il avait cru nécessaire sous le règne de Caius pour échapper à ce prince et parvenir à ses fins. Mais il ne persuada personne et, peu de temps après, il parut un livre qui avait pour titre : « La guérison des imbéciles », qui avait pour but de montrer que personne ne contrefait la bêtise.
XXXIX. Ses inconséquences et ses étourderies
(1) On s’étonnait de ses oublis et de ses distractions, ou, comme disent les Grecs, de sa « metoria » (étourderie) et de sa « ablepsia » (stupidité). En voici quelques traits. (2) Peu de temps après l’exécution de Messaline, il demanda en se mettant à table, pourquoi l’impératrice ne venait pas. (3) Il invitait à dîner ou à jouer beaucoup de ceux qu’il avait condamnés à mort la veille, et, se plaignant de leur retard, il leur envoyait un messager pour gourmander leur paresse. (4) Sur le point de contracter avec Agrippine un mariage illégitime, il ne cessait de l’appeler dans tous ses discours sa fille, son élève, née dans sa maison et élevée sur ses genoux. (5) Près d’adopter Néron, il répétait de temps en temps que personne n’était jamais entré par adoption dans la famille Claudia, comme si ce n’eût pas été un assez grand tort d’adopter son beau-fils, lorsque son propre fils était déjà adulte.
XL. Suite de ses inconséquences et ses étourderies
(1) Il portait l’oubli de lui-même, dans ses paroles et dans ses actions, au point que souvent il paraissait ne savoir qui il était, ni avec qui, ni dans quel temps et en quel lieu il parlait. (2) Un jour qu’il était question des bouchers et des marchands de vin, il s’écria en plein sénat : « Qui de vous, je vous prie, pourrait se passer de potage ?". Et il parla de l’abondance qui régnait dans les cabarets où il allait autrefois lui-même chercher du vin. (3) Il accorda son suffrage à un aspirant à la questure, entre autres motifs, parce que dans une de ses maladies, son père lui avait donné à propos de l’eau fraîche. (4) Il avait fait comparaître une femme en témoignage dans le sénat : « Elle a été, dit-il, l’affranchie et la femme de chambre de ma mère ; mais elle m’a toujours regardé comme son patron. Je dis cela, parce que dans ma maison il y a des gens qui ne me considèrent pas comme leur patron. » (5) Sur son tribunal même, il s’emporta contre les habitants d’Ostie qui lui demandaient publiquement une grâce, et se mit à crier qu’il n’avait aucun sujet de les obliger, et que s’il y avait au monde quelqu’un de
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