Vies des douze Césars
exprès un enfant dans un bourg sur la voie Appienne, en lançant tout à coup ses chevaux au galop. À Rome, sur la place publique, il arracha un œil à un chevalier romain qui lui adressait des reproches avec trop de liberté. (2) Il était de si mauvaise foi, que non seulement il privait les courtiers du prix de ce qu’il achetait, mais que, dans sa préture, il frustrait de leurs récompenses les vainqueurs de courses de chars. Cependant les railleries amères de sa sœur et les plaintes des patrons des coureurs l’engagèrent à statuer qu’à l’avenir les prix seraient payés comptant. (3) Quelques jours avant la mort de Tibère, accusé de lèse-majesté, de plusieurs adultères et d’inceste avec sa sœur Lepida, il ne dut son salut qu’au changement de règne. Il mourut d’hydropisie à Pyrges. Il avait eu d’Agrippine, fille de Germanicus, un fils nommé Néron.
VI. Naissance de Néron. Son enfance
(1) Néron naquit à Antium, neuf mois après la mort de Tibère, dix-huit jours avant les calendes de janvier, au lever du soleil, en sorte qu’il fut frappé de ses rayons avant de toucher la terre. (2) Parmi beaucoup de conjectures effrayantes qui furent faites à l’instant de sa naissance, on regarda comme un présage la réponse de Domitius son père aux félicitations de ses amis, qu’il ne pouvait naître d’Agrippine et de lui rien que de détestable et de funeste au bien public. (3) Le jour de son inauguration, on remarqua un signe évident de sa malheureuse destinée. Caius César, pressé par sa sœur de lui donner le nom qu’il voudrait, tourna les yeux vers Claude son oncle, qui depuis l’adopta lorsqu’il fut empereur, et dit qu’il lui donnait son nom. Mais ce n’était qu’une plaisanterie : ce nom fut dédaigné par Agrippine, parce qu’alors Claude était le jouet de la cour. (4) À trois ans, Néron perdit son père. Héritier pour un tiers, il n’eut pas même cette portion, parce que Caius son cohéritier s’empara de tous les biens (5) et même exila sa mère. Réduit presque à l’indigence, il fut nourri chez sa tante Lepida, sans autres maîtres qu’un danseur et un barbier. (6) Sous le règne de Claude, il rentra dans les biens de son père et s’enrichit de l’héritage de son beau-père, Crispus Passienus. (7) Le crédit et la puissance de sa mère, lorsqu’elle fut rappelée à Rome, l’élevèrent si haut que le bruit courut que Messaline, femme de Claude, jalouse de ce qu’il était devenu le rival de Britannicus, avait aposté des gens pour l’étrangler pendant qu’il ferait sa méridienne. (8) On ajouta que les meurtriers s’étaient enfuis, effrayés à la vue d’un serpent qui s’élança de son oreiller. Ce qui donna lieu à ce conte, c’est qu’on trouva un jour la peau d’un serpent auprès du chevet de son lit. Sa mère la lui fit porter pendant quelque temps à son bras droit dans un bracelet d’or. Mais ensuite, importuné du souvenir de sa mère, il le rejeta, et, plus tard, il le rechercha en vain dans ses derniers malheurs.
VII. Son adoption par Claude qui lui donne Sénèque comme précepteur. Ses mauvais penchants. Ses premières dignités. Son mariage
(1) Dès l’âge le plus tendre, encore adolescent, il était un des acteurs les plus assidus aux jeux troyens dans le cirque, et il y obtint de nombreux applaudissements. (2) À onze ans, il fut adopté par Claude, et confié aux soins de Sénèque, qui était déjà sénateur. (3) La nuit suivante, Sénèque rêva, dit-on, qu’il était précepteur de Caius César, et Néron vérifia bientôt ce songe, en donnant, le plus tôt qu’il put, des marques de son caractère exécrable. (4) Son frère Britannicus l’ayant appelé, par habitude, Ahenobarbus, après son adoption, il tâcha de faire croire à Claude que Britannicus n’était point son fils. (5) Il accabla publiquement de son témoignage sa tante Lepida, pour plaire à Agrippine qui la poursuivait en justice. (6) Conduit au Forum pour y prendre la toge, il fit des distributions au peuple et des présents aux soldats. Il porta le bouclier dans la revue des gardes prétoriennes, et rendit à son père des actions de grâces dans le sénat. (7) Il plaida en latin devant Claude, alors consul, pour les habitants de Boulogne, et en grec pour les Rhodiens et les Troyens. (8) Sa première magistrature fut celle de préfet de Rome pendant les fêtes latines, où les plus célèbres avocats s’empressèrent de
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