Vies des douze Césars
lieu d’un remède qu’il avait promis à Burrhus, préfet du prétoire, pour le guérir d’un mal de gorge, il lui envoya du poison. Il fit périr de la même manière, en mêlant le fatal breuvage, tantôt à leurs aliments, tantôt à leurs boissons, les affranchis riches et âgés qui d’abord l’avaient fait adopter par Claude, et qui avaient été ensuite les soutiens et les conseillers de sa couronne.
XXXVI. Ses autres meurtres
(1) Il ne déploya pas moins de cruauté au dehors et contre les étrangers. Une comète, phénomène qui, suivant l’opinion vulgaire, annonce malheur aux souveraines puissances, avait paru pendant plusieurs nuits consécutives. (2) Troublé par cette apparition, il apprit de l’astrologue Balbillus que les princes avaient coutume de détourner ce funeste présage par des meurtres expiatoires, et de le faire tomber sur la tête des grands. Dès ce moment, il résolut la perte des personnes les plus illustres. La découverte de deux conjurations lui en fournit un prétexte légitime. La première et la plus importante, celle de Pison, se tramait à Rome ; la seconde, celle de Vinicius, fut ourdie et découverte à Bénévent. (3) Les conjurés plaidèrent leur cause, chargés de triples chaînes. Quelques-uns avouèrent d’eux-mêmes leur attentat ; d’autres le lui imputèrent à lui-même, disant qu’ils n’avaient pu le dérober que par la mort à tous les crimes dont il s’était souillé. (4) Les enfants des condamnés furent chassés de Rome, et périrent par le poison ou par la faim. On sait que plusieurs furent égorgés dans un même repas avec leurs précepteurs et leurs esclaves, et que d’autres furent privés de toute nourriture.
XXXVII. Ses autres meurtres
(1) Dès lors il n’y eut plus dans ses meurtres ni choix ni mesure : il faisait périr qui il voulait et sous quelque prétexte que ce fût. (2) Pour me borner à quelques exemples, on fit un crime à Salvidienus Orfitus d’avoir loué trois pièces de sa maison près du Forum à des députés des villes pour s’y réunir ; au jurisconsulte Cassius Longinus, qui était aveugle, d’avoir laissé subsister dans une vieille généalogie de sa famille l’image de C. Cassius, un des meurtriers de César ; à Paetus Thraséa, d’avoir le front sévère et les airs d’un pédagogue. (3) Il n’accordait qu’une heure aux condamnés pour mourir ; et, afin qu’il n’y eût pas de retard, il leur envoyait des médecins qui devaient sur-le-champ « guérir », selon son expression, ceux qui hésitaient, c’est-à-dire leur ouvrir les veines. (4) On dit qu’il voulut donner des hommes vivants à déchirer et à dévorer à un Égyptien glouton qui était habitué à manger de la chair crue et tout ce qu’on lui présentait. (5) Enivré de si monstrueux succès, il dit que nul prince encore n’avait connu toute l’étendue de son pouvoir. Il donna souvent à entendre fort clairement qu’il n’épargnerait pas le reste des sénateurs, qu’il anéantirait cet ordre, et qu’il abandonnerait le commandement des armées aux chevaliers romains et aux affranchis. (6) Jamais, soit en arrivant, soit en partant, il n’embrassa ni ne salua personne. En commençant les travaux de l’isthme, devant une foule nombreuse, il souhaita hautement que l’entreprise tournât à son avantage et à celui du peuple romain, et ne fit aucune mention du sénat.
XXXVIII. Il met le feu à Rome, et chante, pendant cet incendie, la prise de Troie
(1) Cependant il n’épargna ni le peuple ni les murs de sa patrie. (2) Quelqu’un, dans un entretien familier, ayant cité ce vers grec : « Que la terre, après moi, périsse par le feu !", « Non, reprit-il, que ce soit de mon vivant. » Et il accomplit son vœu. (3) En effet, choqué de la laideur des anciens édifices, ainsi que des rues étroites et tortueuses de Rome, il y mit le feu si publiquement, que plusieurs consulaires n’osèrent pas arrêter les esclaves de sa chambre qu’ils surprirent dans leurs maisons, avec des étoupes et des flambeaux. Des greniers, voisins de la Maison dorée, et dont le terrain lui faisait envie, furent abattus par des machines de guerre et incendiés, parce qu’ils étaient bâtis en pierres de taille. (4) Le fléau exerça ses fureurs durant six jours et sept nuits. Le peuple n’eut d’autre refuge que les monuments et les tombeaux. (5) Outre un nombre infini d’édifices publics, le feu consuma les demeures
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